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promis. Au lieu de vingt livres Tom en avait reçu quarante, ce qui lui avait permis de ne pas regretter son pourboire au cocher de son cab.

Remontée dans son appartement, Jeanne répondit aussitôt :


« Bien que la comtesse Iwacheff vive dans une retraite presque absolue et qu’elle ne connaisse lord Rundely que de nom, elle aura l’honneur de le recevoir demain, dans l’après-midi, de trois à cinq heures. »


Une heure après, on lui apportait, avec un bouquet des fleurs les plus rares, une seconde carte où n’étaient écrits que ces mots :


« Remerciements et hommages. »


Le lendemain, à trois heures, Jeanne était sous les armes.

Rehaussée par une toilette de maison d’un goût exquis, jamais sa beauté n’avait été plus provocante. Lorsque lord Rundely, que son habitude des amours faciles et le peu de mal qu’il avait eu à se faire recevoir par l’étrangère disposaient à des idées de conquête cavalière, entra dans le salon où l’attendait la pseudo-comtesse, il demeura un instant sur le seuil, véritablement ébloui.

Puis, se remettant un peu, il ne trouva pour saluer la jeune femme qu’une phrase peut-être brutale, mais qui avait du moins le mérite d’exprimer bien complètement ce qu’il ressentait :

— Ah ! madame, dit-il en saluant : bien que je vous aie admirée l’autre soir, je ne vous croyais pas aussi merveilleusement belle.

Mme de Ferney ne répondit que par un sourire.

Une demi-heure après, Jeanne et le lord étaient les meilleurs amis du monde.

L’Anglais était un homme de beaucoup d’esprit, et Mme de Ferney possédait une érudition rare, même chez les femmes le mieux élevées, de sorte que le gentleman et son hôtesse purent prendre, pour arriver à parler d’amour, une de ces routes de traverse qui, quoique allongeant un peu le chemin, n’en conduisent que plus sûrement au but.

En s’éloignant après cette première visite, le gentleman était follement amoureux, et il laissait Jeanne bien assurée de sa victoire.

Morris Rundely revint le lendemain, puis les jours suivants, moins hardi qu’il ne s’était proposé de l’être, mais de plus en plus épris ; et une semaine s’était à peine écoulée, qu’il tombait aux pieds de la charmeresse en la suppliant de ne pas le faire languir plus longtemps.

— Vous allez bien vite, mon ami, répondit-elle en souriant et en le repoussant doucement ; vous m’aimez, je le crois, et je vous avoue que j’éprouve moi-même pour vous une certaine sympathie, mais pensez donc que, moi, je ne vous aime pas encore.