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C’est, qu’elle songeait peu à son enfant, et son nom si pur, prononcé au moment où elle, sa mère, était toute à une œuvre inavouable, lui semblait un reproche.

Mais ce murmure de sa conscience ne dura qu’une seconde, et elle reprit aussitôt :

— Non, je n’ai pas de nouvelles de Bruxelles, — elle n’osait dire : de Gabrielle ; — mais j’ai diverses recommandations à le faire. Tu donneras l’ordre, demain matin, à l’antichambre, de t’appeler s’il venait un visiteur, et si quelqu’un, à la maison ou dehors, demandait des renseignements sur moi, qu’on réponde tout simplement et sans mystère que je m’appelle la comtesse Iwacheff et que je suis arrivée depuis un mois à peine. À partir de demain, j’ai l’intention de vivre moins retirée.

— Ah ! tant mieux ! madame, s’écria gaiement Sonia, qui, faite à la vie fastueuse et bruyante qu’on menait à l’hôtel du canal de Fontanka, avait peur que sa maîtresse ne s’isolât trop. Je n’oublierai pas de transmettre votre ordre en bas. Faudra-t-il qu’on selle Djali demain matin ?

Djali était un fort beau cheval que Jeanne avait essayé quelques jours auparavant.

— Oui répondit-elle, j’irai faire un tour au parc vers dix heures. Tu peux te coucher, je n’ai plus besoin de toi. Viens ouvrir demain matin à neuf heures.

Sonia se retira après avoir baisé la main de sa maîtresse, qui resta seule, toute à ses rêves de séduction.

Ainsi que nous l’avons dit plus haut, c’était dans un but bien arrêté dans son esprit qu’elle s’était rendue à Covent-Garden.

Décidée à refaire la fortune que lui avait enlevée son expulsion de Russie, elle était venue à Londres dans l’intention formelle de séduire quelqu’un de ces gentlemen colossalement riches qui sont toujours disposés aux folies, aussi bien par orgueil que pour la satisfaction de leurs passions ; et c’était sur lord Rundely qu’elle avait jeté les yeux.

Elle avait pressenti que sa beauté et le mystère dont elle s’entourait l’attireraient vers elle. Nous savons que, du premier coup, elle avait réussi.

Le lendemain, vers dix heures, elle monta à cheval, et sa promenade à Hyde-Park fut un véritable triomphe. Elle rentra à Thurloe square suivie de plusieurs cavaliers qui ne la quittèrent que sur le pas de sa porte, et Sonia, lui remit, aussitôt après son arrivée, une carte sur laquelle étaient tracés ces mots : « Lord Rundely sollicite de madame la comtesse Iwacheff l’honneur de lui présenter ses respectueux hommages. »

Tom, on le voit, n’avait pas perdu son temps.

Dès l’aube, en effet, il était venu rôder autour des écuries de la comtesse, et les palefreniers qu’il avait accostés sous le prétexte de les complimenter sur la beauté de leurs chevaux lui avaient appris tout ce qu’il désirait savoir.

Quant à lord Rundely, à qui l’adroit domestique avait raconté avec force détails sa campagne de la veille, il s’était montré plus généreux encore qu’il ne l’avait