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donné aucun ordre, à peine était-elle arrivée sous le péristyle, que sa voiture parut.

Tom, qui marchait sur ses pas, comme s’il était à son service, eut à peine le temps de voir la portière s’ouvrir et l’inconnue s’élancer légèrement dans son coupé, qui remonta aussitôt vers Garrick-street.

Après avoir examiné d’un coup d’œil, afin de le reconnaître, l’équipage qui l’intéressait si vivement, le serviteur du jeune lord sortit du théâtre, certain que, grâce à l’encombrement, il atteindrait à temps l’extrémité de la rue.

En un instant, en effet, il gagna l’angle de Garrick-street, et là, arrêtant un cab au passage, il y bondit en ordonnant au cocher de se ranger sur la droite et d’être prêt à partir.

— Il y a deux livres pour vous, camarade, si je réussis, lui dit-il, en se tenant debout sur la plate-forme du cab.

Puis il ajouta aussitôt, en désignant à l’automédon le coupé qui entrait dans Garrick-street :

— C’est cette voiture qu’il faut suivre.

— Parfait, mon garçon, répondit le cabman en cinglant son cheval ; il serait attelé avec les trotteurs de lord Dudley qu’on ne le perdrait pas de vue, dût-il aller au diable !

Tom ne s’était pas plus aperçu que son cocher qu’un second cab, dans lequel s’étaient élancés deux individus, faisait absolument la même manœuvre.

Il ne s’en douta un peu que lorsque, en entrant dans Conventry, à toucher la caisse du coupé, il lui sembla que cet autre cab faisait la même route que le sien.

Deux minutes plus tard, à l’angle de Piccadilly, cette même voiture ayant failli accrocher la sienne, il fut certain qu’ils étaient deux à suivre le mystérieux équipage.

— C’est probablement, pensa Tom, le valet de chambre de sir William Stanley ou celui de quelque autre des amis de lord Rundely. Voyons un peu.

En disant ces mots, il se pencha au dehors de son cab, mais la nuit était obscure et la rue mal éclairée ; il ne put rien distinguer dans le véhicule qui marchait à fond de train, parallèlement au sien.

Celui de nos lecteurs qui ne connaît que les fiacres de Paris est certainement étonné de cette lutte à laquelle nous le faisons assister ; mais c’est qu’en Angleterre, et surtout à Londres, les chevaux des voitures de place n’ont rien de commun avec les pauvres bêtes efflanquées et poussives que les entrepreneurs de locomotion attèlent chez nous sans pitié.

À Londres, le premier cab venu, pour ainsi dire, peut suivre et même dépasser le meilleur attelage. Un cocher anglais aurait honte de conduire les haridelles que nous rencontrons si souvent sur nos boulevards.