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Le domestique ayant obéi, son maître l’emmena jusque dans sa loge où, lui montrant l’étrangère, il lui dit :

— Tom, vous aurez vingt livres si, demain matin, en m’éveillant, vous me donnez le nom et l’adresse de cette dame. Regardez-la bien, afin de la reconnaître à la sortie. Si vous ne découvrez ce que je désire qu’après-demain, vous n’aurez droit qu’à dix livres. Si vous n’avez pu réussir dans soixante-douze heures, vous ne ferez plus partie de ma maison. Allez ! Vous êtes libre pour toute la nuit.

Tom, qui était un de ces serviteurs flegmatiques, mais admirablement stylés, comme il s’en trouve en Angleterre, ne témoigna pas la moindre surprise : il regarda longuement la jeune femme et répondit :

— J’ai bien compris, milord.

— Ce n’est pas tout. Non seulement j’ai intérêt à découvrir le nom et l’adresse de cette dame, mais encore je voudrais savoir cela avant quelques-uns de mes amis, sir William Stanley entre autres. Or comme il est probable que ces messieurs, dont vous connaissez les gens, leur donneront les mêmes instructions que vous venez de recevoir, tâchez d’être le plus fin, c’est-à-dire d’arriver bon premier.

— J’espère que je satisferai complètement Votre Honneur.

Et, saluant respectueusement son maître, Tom sortit à reculons.

Il monta d’abord au premier étage pour voir si l’étrangère n’avait pas mis un de ses domestiques à la portée de sa voix.

Il n’y avait personne, et l’ouvreuse à laquelle il s’adressa ne put lui donner aucun renseignement à propos de la livrée des gens de l’inconnue. Celle-ci était arrivée seule.

Au contrôle, Tom ne fut pas plus heureux ; le coupon de la loge avait été acheté dans une agence ; il ne portait aucun nom. Il apprit là seulement que plusieurs personnes avaient déjà fait la même demande que lui.

Il redescendit alors au rez-de-chaussée, mais il questionna vainement les valets de pied qui attendaient la sortie.

— By God ! pensa-t-il, la chose est moins facile que je ne le supposais.

Puis, après un instant de réflexion, il se dit :

— Sot que je suis ! Eh bien ! je vais tout simplement agir comme si j’étais de la maison de cette belle dame : me mettre en faction près de sa loge. Lorsqu’elle sortira, je la suivrai jusqu’à sa voiture.

Enchanté de son idée, Tom regagna rapidement le couloir des premières et attendit.

Pendant ce temps-là, les spectateurs de Covent-Garden faisaient à la Patti et à Mario une ovation enthousiaste.

À la fin du troisième acte, ce fut un tonnerre de bravos et une pluie de fleurs.