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étaient réunis une demi-douzaine des représentants les plus distingués de l’aristocratie anglaise.

Cette loge, située au rez-de-chaussée, était celle de lord Rundely, et les gentlemen qui s’y trouvaient, frappés, comme tous les autres spectateurs, de la beauté de l’inconnue, s’étaient mis aussitôt en campagne pour avoir des renseignements auprès de ceux de leurs amis qui assistaient à la représentation, mais inutilement ; personne ne la connaissait ; on ne l’avait jamais vue à Londres, dans aucun endroit public.

— Ma foi, messieurs, dit sir William Stanley, un des intimes de lord Rundely, voilà ou jamais l’occasion de faire un pari charmant, et je le propose : cent livres à celui de nous qui découvrira le premier l’adresse, le nom et l’état civil de cette femme.

— Accepté ! répondirent en riant ceux auxquels s’adressait sir William.

— Accepté, répéta celui dont Justin était le secrétaire, et j’ajoute : mille livres pour celui d’entre nous qui, le premier,… nous offrira le thé chez elle.

Cette excentrique proposition ayant été reçue avec un véritable enthousiasme, les parieurs se séparèrent aussitôt pour dresser leurs plans de campagne.

Resté seul, le membre du Parlement s’accouda sur le bord de sa loge et leva les yeux sur celle qu’il venait de traiter, ou à peu près, comme un cheval de course.

Ses regards se rencontrèrent aussitôt avec les siens.

On eût dit que l’étrangère avait deviné ce qui venait d’avoir lieu.

Bien que sa physionomie restât calme et même un peu dédaigneuse, ses yeux chargés d’éclairs demeuraient fixés avec une telle insistance sur le noble lord que toute la salle le remarqua.

Morris Rundely avait à cette époque une quarantaine d’années. C’était un gentleman de grand air, colossalement riche, sceptique, et, quoique d’opinions libérales, ou peut-être même parce qu’il professait ces opinions, très autoritaire.

Menant de front les affaires et le plaisir, il passait pour un des viveurs les plus infatigables des Trois-Royaumes.

Rien ne lui coûtait, disait-on, pour arriver à ses fins, lorsqu’il s’agissait d’atteindre un but politique ou de réussir auprès d’une jolie femme.

Le pari qu’il venait d’accepter et celui qu’il avait ensuite proposé lui-même étaient bien dignes de lui. Seulement, après avoir examiné la splendide inconnue plus attentivement encore qu’il ne l’avait fait avant de s’en entretenir avec ses amis, il la trouva si merveilleusement belle et se mit à la désirer si vivement, qu’il se jura d’être vainqueur dans ce singulier steeple-chase dont une femme était le point d’arrivée.

Alors, après avoir, pour ainsi dire, échangé un dernier regard avec l’étrangère, car celle-ci continuait à ne pas le quitter des yeux, il sortit, descendit dans le vestibule où attendent les gens de maison, et, avisant là son valet de pied, lui fit signe de le suivre.