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salut, car il s’y était accroché, sans même être vu de ceux qui le dirigeaient, et il avait ainsi descendu le fleuve jusqu’à Billancourt, où il avait gagné à la nage la berge déserte.

Il était ensuite rentré à Paris, avait pris chez son logeur tout ce qu’il possédait et il était parti le lendemain matin sans donner de ses nouvelles à personne, même à Manouret.

Vingt-quatre heures plus tard, il était sorti de France par la frontière belge et il avait pu alors, sans être inquiété, se rendre en Angleterre par Ostende.

Mais à Londres, l’isolement, la misère, l’ambition, le vague espoir de se venger un jour l’avaient jeté au milieu de cette population française interlope, qui vit aux alentours de Leicester square et se compose en partie de condamnés politiques et aussi, sans que ceux-ci s’en doutent, de nombreux repris de justice, ou de misérables que la loi n’a pu encore atteindre, tels, par exemple que l’ancien amant de Françoise Méral.

Claude, toutefois, s’était bien gardé de faire connaître à Justin le véritable motif de son exil, car, si bas que fût tombé celui-ci, il aurait repoussé avec horreur la main du misérable.

Il lui avait dit que, compromis après son départ, dans des affaires de sociétés secrètes, il avait dû fuir Paris, et ce mensonge l’avait fait accueillir aussitôt comme un frère malheureux, non seulement par Delon, mais encore par tous ces réfugiés auxquels l’Angleterre donne si volontiers asile.

Puis, comme il avait dû expliquer la provenance de l’argent qu’il possédait, car il n’était pas homme à vivre de privations lorsqu’il avait le gousset garni, il avait prétendu que, juste au moment de son départ forcé, il s’était présenté, pour l’hôtel de Reims, un acquéreur qui avait payé cher et comptant.

La main facilement ouverte pour ses amis et même pour ses camarades les moins intimes, Manouret avait tiré Justin de la misère profonde dans laquelle il vivait à Londres, et l’avait nourri et vêtu jusqu’au moment où, recommandé par des républicains, il était entré comme secrétaire chez lord Rundely, membre du Parlement et surtout viveur fort en renom à cette époque.

Delon était chargé de lire les journaux français et de tenir son maître au courant de tous les événements politiques intéressants dont la France et Paris étaient le théâtre.

C’était là une position tout à la fois intelligente et lucrative, et Justin l’occupait depuis deux années à la satisfaction de lord Rundely, lorsque nous le retrouvons tout à coup à Covent-Garden, en face de cette femme qui l’avait trahi, déshonoré, et pour laquelle il avait voulu mourir.

Car c’était bien Jeanne qui assistait à cette représentation de gala ; son ancien amant ne s’était pas trompé.

Pendant que se passait, entre Manouret et Justin, cette scène que nous venons de raconter, on ne s’occupait pas moins de la belle étrangère dans une loge où