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La Manouret connaissait trop bien sa sœur pour insister davantage ; elle partit aussitôt.

Dans l’après-midi, vers deux heures, alors qu’elle était certaine que la cérémonie funèbre était terminée, Jeanne sauta en voiture. Vingt minutes après, elle franchissait cyniquement le seuil de la maison d’où elle avait été chassée.

— Madame ! s’écria le concierge en la reconnaissant.

— Cela vous étonne ! Qui commande donc ici, si ce n’est moi, maintenant que M. de Ferney est mort ? répondit-elle, en se dirigeant vers le grand escalier.

Au même instant, la porte du vestibule s’ouvrit et M. Dormeuil parut.

— Ah ! voici l’ennemi, pensa la jeune femme en s’armant d’audace.

Elle voulut passer outre.

— Pardon, madame, fit l’avocat en étendant le bras, vous n’irez pas plus loin, du moins avant de m’avoir entendu.

— Que me voulez-vous, monsieur ? demanda-t-elle avec un léger mouvement d’épaules ; je ne vous connais pas.

— Je suis, madame, celui qui représente au nom de la loi M. de Ferney défunt, jusqu’à ce que ses dernières volontés aient été accomplies ; je suis son exécuteur testamentaire. Veuillez me suivre. Lorsque je vous aurai fait part de ce que j’ai à vous dire, vous serez libre d’agir à votre guise.

— Soit ! monsieur.

Elle précéda M. Dormeuil dans le salon du rez-de-chaussée, où elle se laissa tomber dans un fauteuil, en femme résignée à subir un entretien inutile.

— Madame, lui dit son interlocuteur, votre présence inexplicable dans cette maison m’autorise à vous demander d’abord dans quel but vous y venez.

— Monsieur, répondit Jeanne avec un accent dédaigneux, tout simplement dans le but de rentrer chez moi. Vous venez de parler de la loi ; vous devez la connaître. Est-ce qu’elle me ferme les portes de l’hôtel de Rifay ? Est-ce que je suis une épouse séparée de son mari ? Est-ce que le domicile conjugal a cessé d’être le mien parce que M. de Ferney n’est plus ? Est-ce que je ne me nomme pas toujours Mme de Ferney ?

À ces phrases brèves, saccadées, cyniques, mais qui lui prouvaient que la jeune femme connaissait les articles du Code civil qui l’intéressaient, M. Dormeuil fronça les sourcils.

— Vous ne me répondez pas, monsieur ? fit-elle ironiquement.

— J’hésitais, madame, reprit l’exécuteur testamentaire ; mais puisque vous m’y forcez, je n’hésite plus. Écoutez-moi bien et soyez assurée que vous avez devant vous, armé d’un double mandat, un homme qui ne faillira pas à son devoir, si pénible qu’il pourra être à remplir.

— Je vous écoute.