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— Sans aucun doute, madame, si ce domicile était celui de son époux légitime, c’est-à-dire s’il ne demeurait pas lui-même chez des tiers, chez son père ou sa mère par exemple. Personne ne pourrait lui fermer la porte d’une maison qui est la sienne, jusqu’à ce que la succession soit ouverte et que les droits des héritiers aient été constatés.

— Cette dame était mariée en secondes noces et n’a pas d’enfants, mais son mari a laissé, de son premier mariage, un fils et une fille qui sont mineurs.

— Ces circonstances ne modifient en rien sa situation. Le domicile est toujours le sien.

— Si des parents ou des amis s’y opposaient ?

— Elle n’aurait qu’à réclamer l’intervention du commissaire de police de son quartier. J’ajouterai toutefois que si la personne dont il est question était l’héroïne de quelque drame conjugal dont le dénouement a été la mort de son mari, il serait plus convenable pour elle de rester à l’écart.

— Ne parlons pas de convenances, mais de droits.

— Oh ! la loi est absolument pour elle.

— Un autre avis encore. Cette dame, dont le mari vient de mourir en laissant des enfants mineurs, est enceinte. Que doit-elle faire ? Doit-elle déclarer sa situation ?

— Il est de son devoir d’en faire part au notaire de la famille, afin que les droits de l’enfant à naître soient réservés.

— Enfin, monsieur, dans quels cas la loi prononce-t-elle la nullité du mariage, ou plutôt, pour poser ma question d’une façon plus précise, est-ce un cas de nullité que le fait, par l’un des deux époux, de s’être marié sous un nom qui n’était pas le sien.

— Non, dans cet ordre d’idées, le mariage ne peut être attaqué que s’il y a eu erreur dans les personnes, c’est-à-dire si l’un ou l’autre des deux conjoints s’est uni à une autre personne que celle qu’il voulait épouser.

— Je vous remercie, monsieur ; c’est là tout ce que mon amie désirait savoir.

Et glissant discrètement, en cliente bien élevée, un billet de cent francs sur le bureau de l’avoué, Jeanne salua et sortit. Son visage rayonnait de joie, sa physionomie exprimait une implacable résolution. Rentrée à son hôtel, elle écrivit rapidement deux lettres.

D’abord à M. de Serville :


« Je n’ai pas quitté Paris et ne le quitterai pas. Si votre cœur ressent quelque regret de ce qui s’est passé entre nous, écrivez-moi sous une double enveloppe, à cette adresse : Mme Manouret, hôtel de Reims, boulevard des Batignolles.

« Si je ne reçois pas d’ici vingt-quatre heures un mot de vous, il sera trop tard. »