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nous avons déjà conduit nos lecteurs, et une jeune femme élégamment mise et soigneusement voilée, sautait à terre et s’élançait dans le couloir de la maison.

Arrivée, au fond du corridor obscur, elle frappa à la porte vitrée et entra sans même attendre qu’on lui eût répondu.

— Tu es seule ? dit-elle à la cabaretière, qui sommeillait dans un vieux fauteuil.

— Toi ! s’écria la dormeuse réveillée en sursaut ; toi, Jeanne, ici ?

— Moi-même. Je t’ai demandé si tu étais seule, répondit Mme de Ferney.

— Oui, je suis seule ! Ah ! depuis le départ de Manouret, la maison n’a plus guère de clients. Il est vrai que pour ce que valaient ceux qu’il amenait !

— Tu ne l’as pas revu ; tu n’en as pas entendu parler ; tu ne sais pas où il est ?

— Non, je ne l’ai pas revu, Dieu merci ! mais j’ai reçu de ses nouvelles.

— Ah ! comment, par qui ?

— Un de ses amis m’a apporté un billet de lui. Tiens, le voici !

Françoise avait tiré de son sein un chiffon de papier, sur lequel étaient griffonnées ces lignes :


« Je t’écris de Londres, où j’ai été obligé de me sauver pour une affaire politique. L’ami qui te remettra cette lettre te donnera mon adresse. Viens me rejoindre. Laisse le gamin en pension, sa mère s’en chargera. »


— Tu la connais son affaire politique, dit Jeanne après avoir lu ce billet. — La phrase où il était question de son fils ne l’avait pas arrêtée un instant. — Que vas-tu faire ?

— Tu me le demandes ! Laisser Claude où il est, tout simplement. Si la canaille croit que je suis tentée d’aller reprendre là-bas la vie qu’il me faisait mener ici, il se trompe fort et m’attendra longtemps ! Il a dû retrouver en Angleterre son ami Delon, car j’ai idée que ton ancien amoureux ne s’est pas plus noyé que moi et que, d’accord avec Claude, il s’est moqué de nous deux !

— Ah ! tu crois que Delon n’est pas mort !

La jeune femme avait prononcé ces mots avec un étrange sourire.

— Je le parierais, répondit la Manouret ; ces gens-là, ça revient toujours sur l’eau, c’est le cas de le dire. Mais toi, comment se fait-il ?

— Tu le sauras. Avant tout il me faut l’adresse de Claude, à Londres. Son ami te l’a-t-il donnée ?

— Sans doute ! Pour ne pas l’oublier, je l’ai écrite, non pas sur mon livre de dépenses, car depuis l’événement, à chaque pas que j’entends dans la maison, je crois voir entrer la police, mais sur l’alphabet du petit.