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— Je vous dois la vérité tout entière, monsieur, lui répondit le magistrat. La blessure de M. de Ferney est d’une extrême gravité ; bien que ne supposant pas qu’il succombe rapidement, le docteur Dessart ne répond pas de sa vie.

Armand, atterré, fut obligé de prendre le bras de M. Salmon. Il ne pouvait prononcer une parole, mais en voyant M. Dormeuil faire le mouvement de s’éloigner, il l’arrêta d’un geste suppliant et lui dit avec une voix étranglée :

— Monsieur, priez M. de Ferney de me pardonner.

— Mon ami est convaincu que vous êtes étranger à cet incident qui lui coûtera peut-être la vie ; je crois pouvoir vous dire qu’il vous pardonne.

Et, saluant M. de Serville, il reprit le chemin de la Grenouillère, où le blessé était étendu sur le lit du passeur.

Pendant ce temps, MM. Salmon et Frémeur entraînaient Armand du côté opposé.

À la tête du pont de Bougival, ils remontèrent en voiture. Une heure plus tard, ils arrivaient à Paris.

— Mes amis, dit alors l’artiste à ses témoins, ne me laissez pas seul, car si Mme de Ferney est chez moi, c’est devant vous que je veux m’expliquer avec elle.

Mais le domestique du peintre lui apprit que la jeune femme n’était rentrée que pour repartir en emportant ses malles.

Soit qu’en raison de ce qui s’était passé à Croissy, elle doutât de son empire, soit aussi qu’elle désirât se venger de son amant, soit enfin qu’elle craignit d’être arrêtée si son mari n’était pas mort, elle n’avait pas voulu attendre Armand ; mais à la façon du Parthe, elle lui avait lancé, avant de s’éloigner, une dernière flèche sous la forme de ce billet :

« Votre conduite de tout à l’heure est celle de l’enfant sans énergie que vous avez toujours été. Tout autre que vous n’aurait vu dans ma conduite que l’acte spontané d’une femme trop éprise ; vous, vous ne l’avez interprété que dans le sens utile à votre vanité.

« Il m’est donc bien aisé de pressentir que vous m’abandonneriez à mes ennemis, moi qui vous ai tout donné, tout sacrifié. Grâce à vous, j’ai perdu position, fortune ; voilà ce qui doit peser bien davantage sur la conscience d’un galant homme que les conséquences, quelles qu’elles soient, d’un combat loyal.

« Où vais-je ? je l’ignore moi-même, puisque je n’ai que quelques heures pour quitter la France ; mais je vous ferai connaître le lieu de mon exil, afin que vous puissiez vous dire, dans un moment de remords qui sera votre châtiment : Là est celle que j’ai lâchement abandonnée. Adieu et non au revoir ! »

— Lisez, fit M. de Serville en tendant cette lettre à ses amis.

— Eh bien ! dit M. Salmon, après en avoir pris connaissance, si M. de Ferney ne succombe pas à sa blessure, ce duel vous aura rendu à tous les deux un grand service, Quelle coquine ! N’est-ce pas votre avis, Frémeur ?