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mais lorsque ce premier mouvement fut passé, lorsque la jeune femme, qu’il n’avait pas voulu laisser partir, fut endormie, Armand, qui était profondément honnête, se demanda s’il avait le beau rôle dans cette affaire.

Son esprit fit alors un retour en arrière ; il se souvint de sa mère qui, de son lit de mort, l’avait défendu contre la fille Méral ; il se rappela le château de la Marnière, l’arrestation de Delon et les affirmations de ce malheureux, que sa conduite aux Champs-Élysées ne permettait que difficilement de considérer comme mensongères, et il douta.

Puis il interrogea sa conscience, chose terrible pour celui qui, dans une situation analogue à celle où il se trouvait, ose se répondre franchement.

Du passé, il n’était pas responsable : si M. de Ferney, aveuglé par l’amour, avait été trompé sur les antécédents de sa femme, il n’avait, certes, le droit de s’en prendre qu’à Jeanne elle-même ; mais lui, Armand de Serville, s’était-il conduit en gentilhomme, en acceptant l’amitié de ce mari si douloureusement atteint ? N’avait-il pas fait une action contre l’honneur en devenant le complice de celle qu’il savait parjure ?

Troublé par ces pensées que ne parvenait pas à éloigner la vue de sa maîtresse qui reposait d’un sommeil d’enfant, le peintre passa une nuit plus agitée encore que celle de son adversaire, et le matin, quand son domestique le prévint qu’il était cinq heures et demie, il projeta aussitôt de sortir sans réveiller la jeune femme.

Mais il finissait à peine de s’habiller que celle-ci ouvrit les yeux.

— Déjà ! dit-elle avec un accent d’affectueuse épouvante ; j’espérais cependant que ce matin ne viendrait jamais.

— Je suis presque en retard, répondit Armand, et je regrette bien de n’avoir pu partir avant ton réveil.

— Pourquoi ? Crois-tu donc que je manque de courage ? Quoi qu’il arrive, ma résolution est prise depuis longtemps !

— Je ne te comprends pas.

— Si, comme je l’espère, comme j’en suis convaincue, tu reviens sain et sauf de cette rencontre, je te consacrerai ma vie ; s’il t’arrive malheur, je me tuerai !

— Jeanne !

— Oh ! cela froidement, sans désespoir, je te le jure. Sans toi, que deviendrais-je ?

En prononçant ces mots, Mme de Ferney avait sauté en bas du lit pour se jeter au cou de son amant.

— Voyons, je t’en prie, laisse-moi tout mon calme et toute ma raison, supplia Pétrus dont le cœur, pour la première fois, ne battait pas sous cette étreinte passionnée.

La fille Méral ouvrit les bras et tendit la main à l’artiste en lui disant :

— Va ! moi, je t’attends.