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Dès qu’il se trouva seul, ce fut pour sonder de nouveau l’abîme ouvert sous ses pas. La disparition de sa fille lui causait en même temps une immense douleur et de cuisants remords.

— Qu’est devenue ma pauvre petite Berthe ? se disait-il en sanglotant. Qu’en ont fait, qu’en feront les misérables qui l’ont enlevée ? Dans quel lieu la conservent-ils ? Pourquoi ne m’offrent-ils pas de me la rendre en échange de ma fortune tout entière ? S’ils l’avaient tuée !

En prononçant ces derniers mots avec terreur, le malheureux ne croyait pas dire aussi complètement la vérité !

Cependant tout cet immense chagrin qu’éprouvait M. de Ferney ne pouvait lui faire oublier longtemps ses projets de vengeance. Certain que la police de sûreté ne négligerait rien pour découvrir son enfant et impatient de la seconder lui-même par ses propres moyens, il appela bientôt à lui toute son énergie pour en terminer avec M. de Serville.

Il lui écrivit alors les lignes suivantes :


« Monsieur, j’ai appris, il y a seulement deux jours, comment se nomme réellement celle qui s’est introduite dans ma maison sous le nom de Jeanne Reboul, et j’ai été mis au courant en même temps des scènes dont le château de la Marnière a été le théâtre. Si je ne vous avais pas connu, si vous n’étiez pas venu chez moi, j’aurais courbé la tête devant cette double et honteuse révélation, je ne me serais pas arrogé le droit de vous demander compte du passé ; mais en franchissant le seuil de ma porte, vous avez aidé une infâme à me tromper, vous m’avez outragé.

« Je pense, monsieur, qu’il est inutile que je vous en dise davantage. J’ai chassé la misérable ; de vous, son complice, j’exige une réparation.

« Cette lettre, que je vous fais porter par un de mes gens, pour être bien sûr qu’elle vous parviendra fidèlement, sera promptement suivie de la visite de deux de mes amis. Vous voudrez bien leur désigner deux des vôtres ; et si vous pensez, comme je le pense moi-même, qu’il est inutile de mettre des étrangers, même dévoués, dans le secret des motifs de notre rencontre, vous ne direz à vos témoins que ce qu’il est indispensable de leur faire connaître.

« Robert de Ferney. »


Puis, comme au moment où il terminait cette lettre, miss Brown, qui était venue lui demander la permission de sortir avec Louise, lui indiqua, sans paraître y attacher aucune importance, l’adresse qu’avait donnée Jeanne au cocher, M. de Ferney reprit la plume pour ajouter à sa provocation ce post-scriptum :

« En quittant ma maison, Mlle Rose Méral a poussé le cynisme jusqu’à laisser comprendre qu’elle se réfugiait chez vous, avouant ainsi que vous n’êtes pas pour elle aujourd’hui moins que vous n’étiez autrefois. Vous comprenez qu’il s’agit entre nous d’un duel à mort. »