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Moins d’une heure plus tard ils arrivèrent à Nogent.

Comme un négociant honorable, Pergous avait un chalet dans l’île de Beauté.

Il était là en excellente compagnie et s’en montrait fort orgueilleux.

D’un côté, les nombreuses villas du célèbre éventailliste Duvelleroy, le véritable créateur de cet Éden aux portes de Paris ; de l’autre, des artistes et des gens du meilleur monde, voisins qui, ne connaissant rien du passé de l’agent d’affaires, l’accueillaient avec cette facilité de relations qu’on ne rencontre que dans le tourbillon parisien.

La maison de Pergous était d’ailleurs décemment tenue.

On y entendait bien, de temps à autre, pendant les nuits d’été, quelques éclats de rires féminins ; mais, comme le maître était garçon, cela ne scandalisait personne, et lorsqu’il se promenait le soir au bord de l’eau, en élégant costume de campagne, avec le calme et la satisfaction d’un bon bourgeois qui a gagné honorablement sa journée, nul ne songeait à soupçonner en lui l’usurier et le repris de justice.

Pergous ne s’installait à Nogent qu’au commencement de la belle saison et rentrait à Paris vers le milieu d’octobre ; mais lorsqu’il avait fait quelque conquête, il lui arrivait parfois, fût-ce en plein hiver, de l’emmener à sa villa.

Il se croyait alors un financier d’autrefois en galante aventure dans sa petite maison.

Seulement, en ces circonstances amoureuses, il était forcé d’être son propre serviteur, car, aussi économe que vaniteux, il n’avait aucun domestique en résidence à la campagne.

L’hiver, ainsi d’ailleurs que la plupart des autres maisons du lieu, son chalet était confié à la garde du surveillant de l’île.

Il était donc certain, en y venant au moment où nous le suivons, d’y pouvoir agir en toute liberté.

Son jardin, comme tous ceux de l’île de Beauté, avait une porte sur le bord de la Marne ; mais c’était seulement par l’étroit chemin qui longe le petit bras du fleuve qu’on pouvait arriver en voiture jusqu’à son habitation.

Pergous était trop prudent pour se faire conduire près de chez lui.

À l’extrémité du bois de Vincennes, cent pas avant la station du chemin de fer, il fit arrêter le fiacre et mit pied, à terre.

Jérôme l’imita et, chargé de la caisse, suivit l’ex-avoué, qui avait donné cent sous d’arrhes au cocher.

La nuit était pluvieuse et froide ; nos deux personnages purent descendre jusqu’à la Marne sans rencontrer personne.

Arrivés au ponton des bains, ils tournèrent à gauche et suivirent la berge.

Cinq cents pas plus loin, Pergous arrêtait son compagnon.

Ils étaient arrivés à la propriété de l’agent d’affaires.

Celui-ci ouvrit la porte, fit passer Jérôme le premier et referma doucement la grille derrière lui.

Quoique les arbres fussent dépouillés de leurs feuilles, l’obscurité était profonde. Aussi fut-ce en trébuchant que l’ouvrier parvint jusqu’à l’endroit où le précédait son guide.