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Les forces de M. de Ferney étaient à bout ; la sueur perlait sur son front ; de sa main crispée, il se cramponnait à son siège ; on eût dit qu’il allait défaillir.

— Mais qu’avez-vous donc, cher monsieur ? lui demanda le notaire, effrayé du changement qui s’était produit dans la physionomie de son visiteur.

— Rien ! rien ! balbutia le malheureux en épongeant son front ; un peu de chaleur peut-être ! De plus, cette histoire est vraiment émouvante, et je subis malgré moi une partie des douleurs par lesquelles a dû passer ce jeune homme. Poursuivez, je vous prie. Quelle était donc cette révélation ?

Il serait impossible de rendre l’expression d’angoisse avec laquelle M. de Ferney avait prononcé ces derniers mots.

Ce qu’il venait d’entendre n’était-il pas assez ? Quoi de plus épouvantable encore lui restait-il donc à savoir ?

— Terrible ! reprit le narrateur, intérieurement flatté de produire un tel effet. Mme de Serville faisait connaître à son fils le véritable nom, la véritable position sociale de la jeune fille qu’elle avait recueillie, et jugez si M. Armand dut souffrir en apprenant que celle qu’il aimait, celle qu’il avait rendue mère, celle à laquelle il avait promis son nom, nom qu’il était encore prêt à lui donner, s’appelait Rose Méral et était la fille d’un assassin condamné à mort, et exécuté à Reims.

C’en était trop pour l’époux trahi. L’œil hagard, livide, il se leva brusquement, mais pour retomber aussitôt sur son siège.

Me Destables se précipita vers lui en s’écriant :

— Ah ! monsieur, je suis au désespoir ! Vous connaissez cette femme ; je…

— Non, je ne la connais pas, interrompit le mari de Jeanne avec un effort surhumain, ou plutôt je ne la connais que de nom : un de mes amis s’est, lui aussi, laissé prendre à sa beauté et veut l’épouser.

— L’épouser ! Épouser Rose Méral ! Ah ! monsieur, je regrette moins de vous avoir fait souffrir, puisque je peux encore empêcher un honnête homme, car votre ami ne peut être qu’un honnête homme…

— Oh ! oui, je vous le jure.

— Je puis l’arrêter dans cette honte. Je l’ai vue ici, chez moi, Mlle Méral ou Reboul ; elle y est venue pour régler le legs que lui a fait Mme de Serville. Ah ! je vous assure que j’ai été épouvanté de son sang-froid. Et le pauvre M. Armand qui était prêt à lui donner son nom ! Notez bien que, si on en croit les affirmations d’un pauvre diable, un sieur Delon, qui a été intendant au château de la Marnière, puis condamné pour vol, M. de Serville n’a été que son successeur auprès de Mlle Jeanne.

— Quel abîme d’infamies ! gémit M. de Ferney en se voilant le visage.

— De plus cette femme n’a pas été meilleure mère que maîtresse fidèle ! Elle ne m’a pas même demandé des nouvelles de son enfant. Pendant, deux ans, elle ne l’a