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troublé. Son cœur se serrait ; un frisson glacé parcourait tout son être ; il tremblait sans oser interroger.

— Vous comprenez cela, poursuivit Me Destables, qui ne s’apercevait pas de l’émotion de son hôte et ne voyait dans son silence que l’intérêt qu’il prenait à son récit. Ah ! du reste, Mlle Jeanne Reboul était bien l’Ève créée pour le malheur de cet Adam naïf. C’était une des plus séduisantes créatures qu’il fût possible de rencontrer. Je ne crois pas qu’il existe une femme plus merveilleusement belle.

Mlle Jeanne Reboul ? fit le conseiller d’une voix étranglée.

— Vous la connaissez ? interrogea le tabellion tout surpris du changement de physionomie de son interlocuteur.

— Non, eut le courage de répondre l’infortuné, en se détournant un peu, afin que son visage fût moins en pleine lumière. Vous dites que M. Armand de Serville l’aimait ?

— Il en était fou, et quand elle fut sur le point de devenir mère…

— Ah ! elle a eu un enfant de lui ?

— Oui, mais après son départ. Mme de Serville, dont les yeux s’étaient ouverts à la suite d’un événement mystérieux dont la Marnière avait été le théâtre contraignit son fils à aller en l’Italie. Elle savait bien, la brave dame, qu’il serait retombé dans les filets de la charmeresse, s’il l’avait jamais revue.

— Que devint cette femme ?

Mme de Serville ne l’abandonna pas. Elle la fit soigner par un des premiers médecins de Reims et je fus chargé de veiller sur l’enfant. C’était un garçon ; je le mis en nourrice dans un bourg voisin. Quant à la mère, elle entra dans un couvent à Douai. C’était à la condition expresse qu’elle se consacrerait à l’éducation et ne reverrait jamais son fils Armand, que Mme de Serville lui avait pardonné. Par mon intermédiaire, elle avait assuré son avenir.

— Et à la mort de Mme de Serville ?

— À la mort de sa mère, M. Armand revint plus amoureux que jamais. Se reprochant comme une mauvaise action d’avoir abandonné sa maîtresse, il allait courir après elle, lorsque je lui remis un pli cacheté que Mme de Serville m’avait confié. Ce pli contenait une révélation que la mère prévoyante, qui connaissait bien le caractère faible de son fils, avait écrite lorsqu’elle s’était sentie perdue.

— Continuez…

— M. de Serville était là où vous êtes lorsqu’il en prit connaissance, et j’ai craint un instant qu’il ne devînt fou de douleur et de désespoir. Ah ! c’est que cette révélation élevait entre Mlle Reboul et lui une barrière qu’un honnête homme, si épris qu’il fût, quelques promesses qu’il eût faites, ne pouvait songer à franchir.