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la fenêtre, l’ouvrit, traversa la plate-forme de la serre, d’où, en saisissant entre ses jambes les montants de l’échelle, il glissa comme un clown jusqu’à terre.

Tout cela s’était passé si rapidement que Jeanne, en revenant à elle, hésita un instant avant de s’en rendre compte.

Mais, en parcourant sa chambre d’un regard affolé, elle rencontra ce coffre à bijoux transformé en cercueil ; ses yeux s’y attachèrent comme s’ils y étaient fixés par une puissance magnétique ; elle comprit qu’elle restait seule avec ce cadavre d’un enfant dont elle était la belle-mère et dont la mort était en partie son œuvre, et, se laissant tomber dans un fauteuil, elle prit sa tête à deux mains.

Il lui semblait que la raison s’en échappait.

La misérable créature resta ainsi de longs instants, s’efforçant en vain de mettre un peu d’ordre dans ses idées ; et peut-être allait-elle devenir folle, lorsque le timbre de la pendule, en sonnant deux heures, lui fit comprendre que la nuit s’avançait et qu’elle serait irrémédiablement perdue si on la trouvait dans cet état au lever du jour.

Se relevant alors brusquement, elle courut à la fenêtre, la ferma, en tira les rideaux, et, debout contre la muraille, les lèvres crispées, mais la physionomie relativement calme, elle se mit à réfléchir.

Puis, tout à coup, ses traits prirent une étrange expression ; d’un de ces mouvements de fauve dont elle avait coutume, elle rejeta en arrière ses longs cheveux qui, dénoués dans la lutte, retombaient sur son front, et s’avança vivement vers la table sur laquelle reposait le terrible coffre.

Elle n’aurait pu l’ouvrir qu’avec la clef, car il se fermait à l’aide d’un ressort qui avait joué lorsque Manouret en avait laissé retomber le couvercle.

Alors, là, sous ce coffret même, dans un tiroir, elle prit un poignard qui lui servait de coupe-papier, et, gagnant ensuite le pied de son lit, elle s’agenouilla, souleva le tapis et, de la pointe de son arme, enleva la feuille du parquet.

La vue de cette cavité lui causa un instant de vertige, mais elle se remit bientôt et vint prendre entre ses bras cette caisse qui, au lieu de bijoux, contenait un cadavre.

Retournant ensuite auprès du trou, elle y fit glisser le coffre, qu’un obstacle arrêta soudain.

C’était la petite boîte renfermant les preuves de son triste passé.

Elle l’enleva, et la caisse à cachemires, devenue cercueil, disparut entre les deux lambourdes qui soutenaient le plancher. Il ne restait plus à Jeanne qu’à replacer la feuille du parquet. Elle n’y parvint qu’après de longs efforts, car le bois s’était dilaté.

Pour faire rentrer cette partie du plancher dans son cadre, elle dut peser sur elle de tout son poids.

Ses cheveux étaient épars, une sueur glacée perlait sur son front, elle s’arc-boutait contre la muraille pour avoir plus de force, des sons rauques s’échappaient de sa gorge contractée par la terreur.