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Quelques avocats auxquels il envoyait des dossiers obtinrent sa mise en liberté, et le bureau des grâces, si impitoyable souvent pour des malheureux dignes de pitié, rendit au bout de quelques semaines Pergous à la société, dont il était un des plus dangereux rongeurs.

C’est à cet homme que Jérôme et sa femme allaient demander conseil.

Adressés à ce misérable par un compatriote, dans les circonstances que nous avons rapportées plus haut, les époux Dutan s’étaient laissé séduire facilement par notre personnage, et c’est pleins de confiance en lui qu’ils venaient faire appel à son expérience.

Comme s’il eût flairé, à l’instar des chacals, quelque proie nouvelle, Pergous les reçut immédiatement.

Lucie prit la parole et lui raconta le dramatique épisode du coffret mystérieux.

Pergous, renversé dans son fauteuil, l’écouta jusqu’au bout sans l’interrompre. À certains détails du récit de l’ouvrière, son regard de fauve avait eu d’étranges lueurs.

— Que nous conseillez-vous ? demanda la femme de Jérôme, lorsqu’elle eut terminé. Nous ne pouvons pas garder cette caisse.

— Non, certes, répondit l’ancien avoué ; mais c’est très grave, il ne faut pas vous le dissimuler. L’important n’est pas qu’elle renferme tel ou tel objet, c’est que votre mari s’en est emparé et que, pour cela, il a assommé un homme. Il n’en serait pas quitte à moins de cinq ans de détention.

— Je vous en prie, mon bon monsieur Pergous, supplia l’ouvrier épouvanté ; tirez-moi de là.

— Je ne demande pas mieux. Il n’y a qu’un moyen : faire disparaître immédiatement le coffre.

— Si nous le jetions à la Seine, proposa Lucie. Comment n’y avons-nous pas songé ?

— C’est vrai, fit Jérôme.

— Je n’approuve pas du tout votre idée, reprit Pergous avec un empressement qui eût éveillé les soupçons de gens moins confiants que ses visiteurs. On peut vous rencontrer en route, vous surprendre sur le quai : puis, la caisse reviendrait sur l’eau. Non, ça ne vaut rien ! Voyons un peu. Le mieux serait de l’enterrer quelque part, dans un lieu bien caché.

— C’est certain, mais où ? Il n’y a pas de jardin dans notre maison, observa Mme Dutan. Ça serait aussi dangereux pour mon mari d’aller jusqu’à la plaine que de descendre à la Seine. De plus, il faudrait qu’il emportât une bêche, une pioche. Mon Dieu ! que devenir ?

— Tenez, dit soudain l’homme d’affaires, comme s’il lui venait une inspiration subite, apportez-moi ça à Nogent : vous ferez un trou dans mon jardin, au milieu du petit bois. Comme ça, on n’en entendra plus parler.

— Vous êtes notre sauveur ! s’écria Jérôme émerveillé de l’idée.

— Que voulez-vous ? je vous aime beaucoup, vous et votre femme, continua l’ex-officier ministériel avec bonhomie, et je ne veux pas vous laisser dans l’embarras. Ce soir, à dix heures, je vous attendrai en voiture, route d’Italie, en face de votre rue. Apportez l’objet ; nous filerons par le boulevard Daumesnil et, à travers le bois