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C’était la première fois que, depuis qu’elle se nommait Mme de Ferney, Jeanne allait se trouver seule, et elle en était heureuse, car elle se promettait de voir Armand en toute liberté. Cependant elle dissimula si bien sa joie que son mari partit avec la conviction que son absence lui causerait le plus vif chagrin.

Le malheureux n’était pas encore sorti du département de la Seine que sa femme sonnait à la porte de M. de Serville.

Le peintre, dont la passion était dans toute son ardeur reçut la nouvelle du départ de M. de Ferney avec un cri de joie, et les deux amants firent aussitôt les plus beaux projets pour passer ensemble, le plus souvent possible, le temps qu’ils avaient devant eux.

Un des vifs désirs de M. de Serville était de voir la chambre de Jeanne. Elle lui en avait beaucoup parlé, et elle aurait pu aisément l’y conduire pendant une de ses visites à l’hôtel, mais cette occasion ne s’était pas présentée.

Elle résolut alors de lui donner cette satisfaction.

— Si tu veux, lui dit-elle, te trouver demain soir, vers onze heures, au fond de l’impasse du Cygne, près de la petite porte du jardin, je t’ouvrirai moi-même.

L’artiste répondit par un baiser à cette proposition qui comblait ses vœux, et Jeanne le quitta avec un sourire en lui disant :

— À demain !

Le jour suivant, Mme de Ferney ne sortit pas, mais employa une partie de l’après-midi à parer son coquet appartement.

Elle avait renouvelé les fleurs des jardinières et retiré de son coffre en bois de santal tous ses joyaux, afin que son amant pût les admirer. Cela fait, elle attendit avec impatience que la nuit fût venue.

Ne pouvant songer à faire passer Armand par le rez-de-chaussée, car, à quelque moment de la nuit que ce fût, un des domestiques de l’hôtel pouvait s’y trouver accidentellement, Jeanne s’était assurée, au moment du départ des ouvriers, qu’ils avaient laissé leurs échelles dressées contre l’échafaudage de la serre.

Or, comme la plate-forme de cette construction était mise en place et s’étendait de niveau avec le premier étage, rien ne devait être plus facile que d’y atteindre, surtout pour un homme jeune et leste comme l’était M. de Serville.

Une fois sur cette plate-forme, il n’aurait plus qu’à enjamber la fenêtre de la chambre, dont on n’avait pas encore fait la porte qu’elle devait devenir, pour qu’on pût communiquer de plain-pied avec le jardin d’hiver.

Vers dix heures et demie, Mme de Ferney, qui avait passé la soirée dans son salon du rez-de-chaussée, remonta chez elle ; mais, au moment où elle allait entrer dans la galerie, elle aperçut la gouvernante qui descendait du second.

— Qu’y a-t-il donc, miss Brown ? lui demanda-t-elle. Je vous croyais couchée depuis longtemps, ainsi que les enfants.

— J’ai dû rester, madame, près de Mlle Louise, répondit l’Anglaise ; elle ne