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— Cette occasion-là ne se fera pas attendre longtemps, répondit Françoise en cachant dans son corsage le billet de banque que sa sœur lui avait remis.

Une demi-heure plus tard, la Manouret rentrait dans son bouge. Sa sœur était retournée à l’hôtel de Rifay.

Tout d’abord Mme de Ferney avait eu l’intention de confier à Armand de quel danger elle était menacée, mais c’était risquer de le mettre sur la trace de ses amours avec Justin. Elle se décida alors à attendre qu’elle fût contrainte par les événements d’en arriver à cette confidence dangereuse.

Pendant ce temps-là, l’honnête homme que sa femme trompait si indignement vivait toujours dans la plus douce quiétude.

L’œuvre de Petrus terminée, véritable chef-d’œuvre, avait pris la place d’honneur dans le grand salon de réception ; l’artiste était resté l’ami de la maison.

Il ne passait jamais huit jours sans s’y présenter ostensiblement comme les autres visiteurs, et Jeanne, qui s’était fait ordonner par son médecin de longues courses au grand air, se rendait deux ou trois fois par semaine chez son amant.

Sous le prétexte que les Champs-Élysées et le bois de Boulogne n’étaient pas possibles pour une femme qui voulait se promener seule, elle se faisait conduire par sa voiture à la grille du Luxembourg. Elle n’avait plus alors qu’à traverser le jardin pour gagner la rue d’Assas.

Les choses duraient ainsi depuis plus trois mois, sans que Mme de Ferney eût appris rien du côté du boulevard des Batignolles, lorsqu’un matin le magistrat annonça à sa femme qu’il allait être obligé de s’absenter pendant quelques jours.

Une de ses propriétés les plus importantes, dans les environs de Douai, venait d’être ravagée par l’inondation ; il était indispensable qu’il se rendît lui-même sur les lieux pour juger des dégâts et donner les ordres utiles.

— Je ne vous propose pas de m’accompagner, dit-il à sa femme, si pénible qu’il me sera de me séparer de vous, même pour le temps le plus court ; la saison est mauvaise et il va me falloir courir la campagne. Du reste, votre présence est nécessaire à Paris, d’abord pour veiller au traitement de Louise et ensuite pour presser les ouvriers qui n’en finissent pas.

L’une des filles de M. de Ferney était atteinte, depuis quelques jours, d’une de ces maladies contagieuses de l’enfance qui n’offrent aucun danger, mais nécessitent cependant des soins assidus.

Afin qu’elle ne communiquât pas son mal à sa sœur, on avait descendu le lit de Berthe dans le petit boudoir qui précédait la chambre à coucher de sa belle-mère, chambre que celle-ci avait dû déserter à cause des ouvriers dont parlait le magistrat.

Selon le projet que ce dernier avait conçu dès le lendemain de son mariage et dont il n’avait pas voulu retarder davantage l’exécution, on élevait jusqu’au second étage la serre du rez-de-chaussée, et comme il s’agissait de mettre en place une charpente en fer, on avait dû construire des échafaudages qui rendaient vraiment inhabitable cette extrémité de l’aile de l’hôtel.