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extérieur en remontant vers l’Arc de Triomphe, et la maîtresse de l’hôtel de Reims raconta rapidement à Jeanne ce qui s’était passé entre elle et Manouret.

— Tu ne sais pas qui a pu l’instruire aussi exactement ? demanda Mme de Ferney à Françoise, lorsque celle-ci eut terminé son récit.

— Pas positivement, répondit la cabaretière, mais je m’en doute : il m’aura vue avec le père Jean et aura fait causer ce vieil imbécile. Peut-être aussi Justin lui a parlé de toi sans dire que tu es ma sœur, puisqu’il l’ignorait. Mais Claude est un malin, et il l’a deviné.

— Est-ce que tu crois qu’il est capable de me nuire ?

— Il est capable de tout lorsqu’il n’a pas d’argent.

— Oh ! s’il n’y a que ça, on peut lui en donner.

— Plus il en aura, plus il le gaspillera et plus il voudra en avoir.

— Tu l’aimes beaucoup ton Manouret ?

— Il y a longtemps que c’est passé !

— Eh bien ! il y a un moyen. Faisons-le taire d’abord en le mettant à même de vivre à sa guise, puis tu lui annonceras un matin que j’ai quitté Paris, que toi-même tu ne veux plus y rester, et tu le menaceras de te séparer de lui s’il ne veut pas retourner avec toi à Reims.

— Il refusera.

— Alors nous verrons. Au fond, qu’ai-je à craindre ? S’il se présente à l’hôtel, je le ferai chasser, et s’il parvient auprès de mon mari, je prendrai les devants en lui disant qu’un misérable, d’accord avec Delon, l’ancien intendant de Mme de Serville, me menace de ses calomnies si je ne veux pas payer son silence. Sois tranquille, je ferai croire à M. de Ferney tout ce que je voudrai. Ce qu’il ne faut pas qu’il sache, c’est mon véritable nom, car il ne me pardonnerait pas de l’avoir trompé. Or, c’est la seule arme que Manouret a contre moi.

— Et l’enfant ?

— Pourquoi as-tu avoué à Claude qu’Armand est mon fils ?

— Est-ce que je pouvais jamais supposer ce qui se passe en ce moment ?

— Enfin, il n’y a pas d’autre moyen que celui que je viens de t’indiquer : d’abord calmer Manouret. Tiens, voici, cinq cents francs, donne-lui ça par petites sommes ; plus tard, un beau jour, lorsque tu lui auras dit que je ne suis plus à Paris et quand il aura refusé de retourner à Reims, tu disparaîtras avec l’enfant. Tu iras en Belgique ou en Angleterre. Je fournirai à tous tes besoins. Toi partie, si Claude me gêne, j’aviserai. Surtout tiens-moi bien au courant de ses pas et démarches, et profite d’un moment où il sera gris pour t’assurer qu’il n’en sait pas plus encore qu’il ne t’en a dit.