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tirer tout le parti possible de ce secret que le hasard lui avait révélé. Sans les diverses sommes que Françoise lui avait remises à plusieurs reprises, ce qui lui donnait de la patience, il est probable qu’il aurait promptement tenté quelque démarche du côté de l’hôtel de Rifay.

Mais pendant plusieurs mois, libre d’héberger à son aise ses amis, de causer politique avec eux et de se griser, il se tut. Seulement, lorsqu’un beau matin sa femme lui refusa de l’argent, en lui disant tout simplement qu’elle n’en avait plus, le misérable fronça le sourcil et, comme il était déjà à peu près ivre, il lui dit :

— Si tu es à sec, envoie le père Jean à l’hôtel de Rifay.

Croyant avoir mal entendu, la Manouret regarda son amant d’un œil effaré, en répétant :

— À l’hôtel de Rifay ?

— Eh bien ! oui, à l’hôtel de Rifay, chez ta sœur, Mlle Reboul.

— Malheureux ! qui t’a dit ? s’écria Françoise.

— Ah ! voilà, j’ai ma petite police, ricana Claude. J’en sais bien d’autres encore. C’est une bonne mère, Mlle Jeanne ; elle ne voudrait pas que son môme manquât de quelque chose. Or le petit gaillard nous coûte les yeux de la tête ; tu le mets comme un prince, il va à l’école. En additionnant, à la fin du mois, ça fait une grosse somme !

— Écoute-moi bien, répondit sa maîtresse en le saisissant par le bras, et retiens ce que je vais te dire : Si tu fais un pas du côté de Jeanne, si tu cherches à lui nuire en quoi que ce soit, c’est à moi que tu auras affaire !

— À toi ? Ah ! Mme Manouret, je n’aime pas ce ton-là. Tu sais, quand on me vexe, je cogne !

L’aubergiste avait levé le poing, mais, avant qu’il l’eût laissé retomber, la directrice de l’hôtel de Reims le repoussa si violemment qu’il perdit l’équilibre et ne dut qu’à une table, à laquelle il se retint, de ne pas rouler à terre.

Lorsqu’il se redressa furieux et les yeux injectés, Françoise était devant lui, brandissant un large couteau, qui pouvait être dans sa main vigoureuse une arme terrible.

L’ivrogne n’osa avancer.

— Et moi, si tu cognes, je tue, riposta la fille Méral. J’en ai d’ailleurs assez de la vie que tu me fais mener depuis trois ans. Tu n’es qu’un paresseux et un bon à rien. Tu n’as pas honte de vouloir faire chanter Jeanne ! Elle nous a donné cinq mille francs depuis un an ; tu as tout mangé ! Sans moi, il y a longtemps que nous aurions fermé boutique. Je ne demanderai pas un sou à ma sœur et si tu tentes la moindre des choses contre elle, tu vois ça ! Rappelle-toi que je suis d’une race à laquelle le sang ne fait pas peur !