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Après la séance qui, de même que la précédente, avait eu pour témoins les enfants et leur gouvernante, la jeune femme s’enferma dans sa chambre et lut les lignes suivantes :


« Jeanne, si je pouvais croire à la vérité absolue du récit que vous m’avez fait, je n’oserais jamais me présenter devant vous, puisque je serais vraiment le plus misérable des hommes ; mais je doute encore et c’est là pour moi un épouvantable supplice, car, triste aveu ! je voudrais avoir le droit de me mépriser afin d’avoir toujours celui de vous adorer à genoux.

« Oui, j’en suis arrivé là ; je le sens, tout conspire en moi contre moi-même. Cinq années se sont écoulées, et je ne me souviens pas de ce qu’elles m’ont donné de douleur, je ne me rappelle que nos amours d’enfants sous les grands arbres de la Marnière ; je ne me rappelle que nos projets d’avenir, nos serments, nos tendresses.

« Cela est lâche peut-être ! Oh ! laissez-moi, ma Jeanne adorée, donner cette satisfaction à mon orgueil, à mes soupçons que j’abhorre ; oui, cela est lâche, mais je t’aime plus que jamais, je t’aime à penser que cette longue séparation n’a été qu’un horrible rêve, que tu as toujours été à moi, à moi seul, et que si nous nous sommes retrouvés, c’est parce que j’ai assez souffert.

« Pardonne-moi mes hésitations, pardonne-moi mes doutes : je n’hésite plus, je ne doute pas : la fatalité seule a été contre toi, de même qu’elle m’a frappé moi-même. Oublie tout ce qui de moi n’est pas amour ; fais que sous ton souffle je retrouve le bonheur ; fais de l’enfant que tu as aimé un grand artiste qui te devra tout. Pardonne-moi ! »


— Jamais, dit Mme de Ferney après avoir dévoré ces lignes passionnées qui la faisaient tressaillir d’orgueil, jamais !

Et soulevant le tapis de sa chambre, puis la feuille du parquet, elle joignit aux papiers qui s’y trouvaient déjà dans un coffret la lettre de M. de Serville.

Mais, quinze jours plus tard, Jeanne pardonnait et Armand la remerciait à genoux d’avoir aussi précieusement conservé la bague qu’il lui avait donnée en mémoire du passé.

C’était par ce souvenir d’amour que l’infâme avait hardiment remplacé l’anneau de mariage de l’honnête homme qu’elle trahissait.

Après avoir volé son nom, elle le souillait !