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m’avait tendu le piège dans lequel j’étais si sottement tombée, ne m’aurait pas laissée vivante.

— Le piège ? Justin, car c’est Justin Delon que j’ai reconnu vous menaçant et vous frappant ; Justin vous avait tendu un piège ?

— Il ne vous manque plus, monsieur de Serville, que de me jeter au visage l’insulte que cet homme avait le droit de me parler et de me traiter ainsi.

— Ah ! que voulez-vous ! En vous retrouvant seule avec lui ; n’osant, pour ainsi dire, appeler à votre aide, me suppliant de le laisser fuir, je me suis souvenu de cette terrible nuit où il disait…

— Que je lui avais donné le droit de s’introduire dans le château ?

— Il l’a répété au juge d’instruction, et ce qui s’est passé aux Champs-Élysées…

— Vous autorise à croire qu’à la Marnière et devant la justice, M. Delon a dit la vérité.

— Prouvez-moi le contraire, Jeanne ; c’est tout ce que je désire, c’est ce dont je vous supplie !

Au lieu de répondre immédiatement, Mme de Ferney sembla hésiter.

Haletant, livide, le cœur oppressé. Armand attendait.

Ce silence dura quelques secondes, puis la jeune femme le rompit enfin pour dire d’une voix brève et saccadée, comme si elle regrettait de ne pas avoir le courage de se taire :

— Cette explication, je devrais vous la refuser ; si je vous la donne, croyez bien que c’est pour moi-même beaucoup plus que pour vous. Vous seul ignoriez ce que j’étais devenue ; cela tout simplement parce que vous n’aviez pas cherché à le savoir.

— Oh ! pouvez-vous croire ?

— Mais, certes, à Reims, votre notaire, si vous l’aviez interrogé, vous aurait dit que j’étais à Douai, au couvent de la Visitation ; et, au couvent, la supérieure vous aurait immédiatement renseigné sur mon sort, puisque c’est elle-même qui m’a placée chez Mme de Ferney. C’est sans doute en s’y prenant ainsi que M. Delon a découvert aisément ma demeure. Il m’a écrit une première lettre pour m’apprendre qu’il était sorti de prison, malheureux, décidé à s’expatrier. Il invoquait le temps qu’il avait passé à la Marnière ; il me jurait qu’il n’était pas coupable du vol qui l’a fait condamner ; il s’adressait enfin à ma bonté. Je lui ai répondu en lui envoyant un peu d’argent. Ai-je eu tort ?

— Non, certes, quoiqu’il fût peu digne de pitié.

— Quelques jours après, je reçus de lui une seconde lettre. Il était poursuivi, m’écrivait-il, traqué par la police, et sachant que la protection du père de mes élèves pouvait le sauver, il me suppliait de l’obtenir. Il terminait en me disant qu’il