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— Épargnez-moi de vous le dire.

— Au contraire, je le veux.

— Une lettre écrite par ma mère, peu de jours avant sa mort, m’avait dit votre véritable nom.

La jeune femme porta ses deux mains à son visage comme si elle eût voulu cacher la honte que lui causait sa naissance, quand c’était la joie, au contraire, que M. de Serville aurait pu lire sur ses traits.

Elle se disait, en effet, que lorsqu’il l’avait quittée, Armand ne savait rien de ses relations avec Justin.

Peu lui importait que M. de Serville eût appris qu’elle était la fille de l’assassin Méral ; car, quant aux soupçons que pouvait avoir fait naître en son esprit la scène des Champs-Élysées, elle espérait bien les dissiper.

— Pardonnez-moi, reprit Armand d’avoir réveillé ce triste souvenir ; c’est vous qui m’y avez forcé.

— Je vous pardonne, mais comprenez-vous ce que j’ai dû souffrir, moi qui n’ai connu ce terrible secret que longtemps après votre départ. Ah ! j’excuse la conduite de votre mère ; je ne pouvais être votre femme. Mais est-ce que j’étais responsable de ce passé odieux ? Est-ce que je connaissais le nom maudit qui était le mien, lorsque je me suis donnée à vous ? De la Marnière, où j’avais été si heureuse, où j’avais rêvé un si doux avenir, où j’étais respectée de tous, j’ai passé dans une maison d’accouchement, comme une femme sans nom, et, de là, dans un couvent, pour y gagner ma vie.

— Ma mère et moi avons assuré voire existence, ainsi que celle de votre enfant.

— Oui, par une aumône ! Oh ! rien ne m’a manqué : la séduction ; je ne vous la reproche pas, je vous aimais, et, je l’avoue, je suis allée à vous autant que vous êtes venu à moi ; puis l’abandon et la rente que les gens riches et bien élevés font, aussi souvent par orgueil que par probité, aux maîtresses dont ils ne veulent plus.

— Madame… Jeanne, je vous en supplie.

— N’est-ce pas la vérité, vérité brutale, mais absolue ? Sans le hasard étrange qui nous a réunis, nous ne nous serions jamais revus. Vous m’aviez payée, nous étions quittes !

En s’exprimant ainsi, la charmeresse était superbe de douleur et d’indignation, et M. de Serville, à ce récit rapide, s’était senti vivement ému. Il reconnaissait qu’en échange de sa tendresse, il n’avait rendu à celle qui se plaignait que la solitude et l’humiliation. Il gardait, donc le silence.

Mme de Ferney reprit hardiment, avec un sourire ironique :

— Mais il était écrit cependant que je contracterais envers vous une dette de reconnaissance, car il est probable que, sans votre secours, le misérable qui