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Se retournant alors vivement vers son mari, elle lui dit en souriant et avec un charmant accent d’affectueux reproche :

— Si c’est une surprise, mon ami, elle est complète.

— Une surprise ? répondit le Robert, dont les regards inquiets et étonnés allaient de Jeanne à l’artiste, qui avait repris possession de lui-même ; je ne comprends pas.

— Sérieusement ?

— Très sérieusement.

— Eh bien, le hasard est décidément le plus étrange des dieux. Monsieur de Ferney, permettez-moi alors de vous présenter M. Armand de Serville, le fils de ma bienfaitrice.

Le magistrat s’inclina, tout stupéfait.

La jeune femme continua en s’adressant au peintre :

— Je vous avoue, monsieur Armand, que, moi, je ne vous aurais pas aussi promptement reconnu. Il est vrai que je suis votre aînée. Lorsque vous avez quitté la Marnière, vous étiez encore presque un enfant. Aujourd’hui, vous voilà un grand artiste : maître Petrus. Cela sonne admirablement. On se croirait en plein dix-septième siècle. Et vous voulez bien faire mon portrait, celui d’une vieille amie que vous n’avez pas revue depuis près de dix ans !

— J’en serais très fier, répondit le jeune homme au comble de la stupeur. Je ne saurais désirer un modèle plus capable de m’inspirer.

— Et, moi, je vous assure que j’en ressens un véritable orgueil. Sans le vouloir, M. de Ferney me cause une grande joie, car vous me rappelez tout ce que je dois à celle que vous n’avez pas pleurée plus que moi-même.

En prononçant ces derniers mots d’une voix émue, elle avait tendu la main à M. de Serville.

Celui-ci la prit machinalement. Il croyait rêver. Pareil sang-froid lui paraissait chose impossible.

Quant à M. de Ferney, complètement rassuré et surtout absolument heureux d’avoir fait une chose qui, non seulement causait à sa femme un si grand plaisir, mais qui, encore, la tirait pour ainsi dire de son isolement social en ramenant près d’elle un témoin de son passé, presque un parent, il offrit lui-même spontanément à l’artiste sa main loyale.

M. de Serville hésita une seconde ; puis, comprenant qu’un galant homme n’a jamais le droit de perdre une femme, quelle qu’elle soit, il répondit à l’étreinte de son visiteur.

La glace ainsi rompue, la conversation roula sur toutes choses, et Jeanne apprit alors qu’après avoir assisté aux obsèques de sa mère, dont il n’avait pas eu le bonheur de recevoir le dernier soupir, Armand s’était expatrié.