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Elle était signée Petrus. C’était un nom qui ne s’était révélé dans les arts que depuis deux ans. Le livret donnait l’adresse de l’artiste. Il habitait rue d’Assas, 124. Jeanne ne l’avait pas lue.

— C’est de ce peintre que je voudrais un portrait de vous, lui dit Robert. Il est probable qu’il en ferait un ravissant.

— Il est certain, répondit-elle, que c’est vraiment fort joli.

Après avoir jeté un dernier coup d’œil sur l’œuvre de Petrus, M. et Mme de Ferney continuèrent leur promenade.

Le surlendemain, en déjeunant, le magistrat dit à Jeanne :

— Ma chère amie, voulez-vous m’accompagner ?

— Où cela ? demanda-t-elle.

— Chez M. Petrus, l’auteur de cette toile que nous avons remarquée avant-hier au salon.

— Vous voulez faire faire mon portrait ?

— J’en serais très heureux.

— Encore faudrait-il savoir si le modèle conviendra à ce peintre.

— Je vous en réponds.

— Soit, alors. Le temps de mettre un chapeau et je suis à vous.

M. de Ferney s’était assuré, en effet, de la bonne volonté de l’artiste. Il était allé le voir le lendemain même de sa visite au Salon, et avait trouvé un parfait gentleman, auquel il lui avait suffi de dire son nom et sa position sociale pour être reçu de la façon la plus courtoise. Lorsqu’il lui avait proposé de faire le portrait de sa femme, Petrus s’était mis immédiatement à ses ordres.

Pendant que Jeanne se préparait, son mari avait fait atteler. Un quart d’heure plus tard, le coupé s’arrêtait devant une maison de la rue d’Assas dont Mme de Ferney n’avait pas entendu son mari dire le numéro à son cocher.

Le magistrat fit passer sa carte, et le domestique auquel il l’avait remise vint, un instant après, prier les visiteurs de le suivre.

Ceux-ci gravirent un large escalier tendu de superbes tapisseries, sur la dernière marche duquel le maître de la maison les attendait.

L’artiste s’inclina devant ses visiteurs ; mais, en relevant la tête, il étouffa un cri de stupeur.

L’ancienne institutrice y répondit en devenant livide.

Armand de Serville était devant elle !

M. de Ferney, qui marchait derrière sa femme, ne voyait pas sa pâleur, mais le mouvement du peintre ne lui avait pas échappé.

La fille du décapité Méral comprit instantanément qu’elle était sur le bord d’un abîme et que son salut ne dépendait plus que de son sang-froid.