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— Non c’est inutile ; les tapissiers attendent en bas, consolidez cela à peu près. Ce sera toujours bien, puisque le plancher sera recouvert d’un tapis.

Le menuisier, qui ne demandait pas mieux que d’en terminer, remit la feuille en place, en se contentant de l’unir aux parties voisines à l’aide de deux ou trois pointes. Cela fait, il se retira.

À peine était-il sorti, que Jeanne se pencha sur le parquet, et il lui fut aisé de s’assurer qu’à l’aide du moindre effort, elle découvrirait de nouveau, lorsqu’elle le voudrait, cette cavité que le hasard lui avait indiquée.

C’est que la réflexion du travailleur : « Ce serait une vraie cachette », avait soudain fait naître un étrange projet dans l’esprit de la nouvelle Mme de Ferney.

Jeanne, en effet, depuis le jour où elle était devenue la maîtresse de M. de Ferney, avait été souvent préoccupée des divers papiers compromettants qu’elle possédait, tels que les actes qui lui avaient été remis par le notaire de Mme de Serville et les lettres d’Armand, qu’elle avait précieusement conservées, dans l’intention bien formelle de s’en faire, dans l’avenir, une arme contre celui qui l’avait abandonnée.

Ne voulant à aucun prix se séparer de ces documents, qu’elle n’osait pas confier à sa sœur, la seule personne qu’elle connût à Paris, elle les tenait enfermés dans un portefeuille caché au milieu de son linge, dans une armoire à glace dont la clef ne la quittait jamais.

Jadis c’était suffisant ; mais lorsque M. de Ferney eut des droits sur elle, Jeanne commença à craindre qu’un mouvement de curiosité ou de jalousie ne lui fit découvrir ces souvenirs de son passé ; et maintenant qu’elle s’appelait Mme de Ferney, tout en tenant à ne pas les détruire, par ce sentiment essentiellement féminin qui fait garder par les femmes tout ce qui peut les perdre, mais aussi les aider à se venger, elle ne songeait qu’au moyen de mettre ces papiers à l’abri de toutes les recherches.

Ce moyen, on venait de le lui indiquer. Enfermés dans une boîte et sous le parquet, ils seraient certainement introuvables.

Aussi, quelques heures plus tard, lorsque le tapissier vint poser le tapis, lui ordonna-t-elle de ne pas le clouer, mais seulement de le maintenir avec des fiches, afin qu’on pût l’enlever aisément pendant l’été.

Dès le lendemain, profitant de ce qu’elle était seule, Jeanne souleva ce tapis, et, à l’aide d’une petite pince qu’elle s’était procurée, enleva la feuille du parquet.

Il y avait, entre deux lambourdes, dix fois plus de place qu’il ne lui en fallait.

Elle se hâta alors d’enfermer, dans un petit coffre à bijoux que ne lui connaissait pas son mari, les actes du notaire ainsi que les lettres d’Armand, et elle glissa le tout dans la cavité qui avait plus d’un mètre de longueur.

Elle remit ensuite en place le morceau de plancher, laissa retomber le tapis et murmura avec un soupir cynique, surtout lorsqu’on songe à quoi elle faisait allusion :

— Enfin, voilà le passé enterré tout entier !