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l’épaule. À cette heure, au milieu de la nuit, le premier sergent de ville que tu rencontreras te mènera au poste.

— Mais que faire ? Que faire ?

— Je ne sais ; réfléchissons !

— Et ma pince qui est restée !

— Ta pince ressemble à toutes les autres. Vois-tu, il n’y a qu’un moyen de te tirer de là : il faut aller au chantier demain matin, de bonne heure, de façon à arriver le premier et qu’on te voie rentrer. Une fois en haut, si le… est toujours là… Il ne t’a pas vu, n’est-ce pas ?

— Non.

— Eh bien ! s’il est toujours là, tu appelleras les gardiens et tu diras que tu viens de le trouver. S’il n’y est plus, tu ramasseras ton outil et tu te mettras au travail.

— Mais, ça, ça ?

L’ouvrier montrait la caisse béante.

— J’ai une idée, poursuivit Lucie, qui ne songeait au crime commis par son mari que pour le sauver. J’irai te voir à midi sous prétexte de manger la soupe avec toi ; tu me diras ce qui se sera passé et je courrai tout raconter à M. Pergous.

— Tu as raison ; c’est un homme de bon conseil. En attendant, il faut refermer ça !

— Voyons, est-ce que tu as peur ? C’est lorsque tu as été là-bas qu’il fallait trembler. Pauvre petite, quelle idée de l’avoir ensevelie là dedans ! Dis donc, Jérôme, si cette enfant avait été assassinée ! Cet homme savait peut-être bien, lui, ce qu’il y avait dans la caisse. Tu dis qu’une femme l’attendait ?

— Je le suppose, puisque je me suis entendu appeler au coin de la rue du Cygne. D’ailleurs, qu’aurait fait cette voiture, à cette heure-là, dans le quartier ?

— Tout ça, c’est un motif de plus pour consulter M. Pergous. Finis-en vite !

Et comme Jérôme ne se rapprochait qu’avec hésitation de la fatale caisse, Lucie en rabattit elle-même le couvercle.

Honteux que sa femme fût plus brave que lui, Dutan prit alors un marteau et referma le coffre tant bien que mal ; puis, cette lugubre besogne terminée, il le mit à terre, le poussa du pied sous une table et le recouvrit d’une vieille couverture.

— Allons, c’est bon, viens dormir, lui dit Mme Dutan en le voyant essuyer du revers de sa main calleuse son front inondé de sueur. Ainsi que tu le disais tout à l’heure : ce qui est fait est fait !

Et, prenant son mari par le bras, elle l’entraîna dans la chambre voisine.

Le malheureux se laissa faire et se coucha, mais on pense bien qu’il dormit peu. Le lendemain matin, Lucie n’eut pas besoin de le réveiller. À cinq heures il était debout.

Les travaux ne commençaient qu’à sept heures à l’hôtel de Rifay ; il était bien sûr d’y entrer le premier.

Cependant, comme il eût été imprudent d’y arriver trop tôt, il attendit. Lorsqu’il passa devant les gardiens, les autres ouvriers paraissaient à l’extrémité de la rue ; sa présence n’éveilla donc aucun soupçon.

Une fois dans la maison, il grimpa au premier étage, pensant y trouver le cadavre de sa victime. Aussi hésita-t-il un instant sur le seuil de cette pièce, où le vol l’avait