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Le jour suivant, à l’heure indiquée, elle arriva à l’hôtel Molière, où ce Pergous l’attendait.

Ainsi que Françoise l’avait dit à sa sœur, ce nouveau personnage était un ancien avoué dont la corporation s’était débarrassée depuis longtemps.

À cette époque il avait à peu près la quarantaine.

Il était à peu près déjà tel que nous l’avons présenté à nos lecteurs dans le prologue de ce récit : solidement charpenté, rougeaud, commun, mais, somme toute, de bonne plutôt que de mauvaise figure.

À la suite de plaintes nombreuses, la chambre des avoués l’ayant forcé de vendre son étude, il végétait à Reims au moment où Françoise lui avait proposé, par écrit, l’opération criminelle dont les bénéfices devaient être pour lui la base d’une fortune nouvelle.

Pergous avait donc accepté avec enthousiasme de fournir à Mlle Jeanne Reboul tous les papiers qui lui étaient nécessaires. Il ne lui avait pas fallu plus de huit jours pour y parvenir.

Françoise, qui se trouvait chez l’ex-officier ministériel, lui présenta sa sœur, sans faire allusion aux liens de parenté qui les unissaient, et Pergous, cyniquement, en homme pratique, alla droit au but en disant à sa visiteuse, dont la splendide beauté l’avait frappé :

— Eh bien ! vrai, mademoiselle, moi, si j’étais à marier, je ne demanderais aucuns papiers à une aussi jolie personne que vous.

L’orgueil de Jeanne se révolta à cette familiarité ; cependant elle se contint, et comme elle se taisait, le triste personnage, poursuivit :

— Enfin, puisqu’il les faut, les voici. Ah ! ça n’a pas été facile, mais c’est complet ! Vous pourrez les présenter en toute sécurité à M. le maire ; celui de Reims, lui-même, n’y verrait que du feu. Cinq mille francs, c’est pour rien ! Si Françoise n’était pas une vieille amie ! Il faut bien faire quelque chose pour les femmes !

Jeanne ne répondit qu’en tirant de son porte-monnaie cinq billets de banque qu’elle tendit au faussaire.

Celui-ci s’en empara avidement d’une main, tandis que de l’autre il remettait à sa complice le document si précieux pour elle.

Désirant très vivement abréger sa visite chez cet homme qu’elle eût préféré ne pas voir, Mlle Reboul se contenta alors de lui dire en se levant :

— Je vous remercie, monsieur.

— Déjà ! observa Pergous. Je comprends que vous soyez pressée ; permettez-moi cependant d’espérer que nous nous reverrons.

Il ne se doutait guère que ce devait être quelques années plus tard, dans de terribles circonstances.

L’ex-avoué ajouta, en se tournant vers la maîtresse de l’hôtel de Reims :

— Et vous, ma belle enfant, vous me quittez aussi ?