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— Oh ! mademoiselle Reboul, je me vengerai un jour, je vous le jure par la mémoire sacrée de ma mère bien-aimée !

— Et j’allais pardonner ! gronda le malheureux, en s’élançant sur les pas de celui qui venait si involontairement de fournir une nouvelle preuve de sa culpabilité.

Mais un de ses domestiques entrant au même instant dans le vestibule, le magistrat se contint pour ne pas violer le serment qu’il avait fait à sa maîtresse, et il courut s’enfermer chez lui.

Le soir même, sans avoir revu son père, Raoul partait pour Douai sous la conduite d’un homme dans lequel M. de Ferney avait toute confiance.

Il était adressé à un conseiller à la cour, qui devait le placer immédiatement au collège, en le signalant au directeur de cet établissement comme un jeune garçon d’un caractère difficile qu’il fallait traiter avec la plus grande sévérité.

Le lendemain, dans la maison où sa mère venait de mourir, il n’était pas plus question de l’aîné des enfants de Mme de Ferney que s’il n’avait jamais existé.

Bien qu’ils ignorassent la véritable cause de la colère de leur maître contre son fils, les serviteurs n’osaient prononcer son nom.

Quant à Jeanne, lorsque son amant était venu s’agenouiller près de sa chaise longue, car elle avait quitté son lit, elle s’était contentée de lui dire :

— Vous m’aviez cependant promis de pardonner !

Pendant qu’elle s’exprimait ainsi, pendant qu’elle jouait à l’hôtel de Rifay, avec une duplicité satanique, ce rôle infâme dont nous avons retracé les divers épisodes, Mlle Reboul n’en était pas moins préoccupée de ce qui se passait loin d’elle.

Depuis vingt-quatre heures, elle se demandait incessamment ce qu’était devenu Justin, ce qu’il allait tenter de nouveau, ce que ferait M. de Serville.

Elle craignait que Delon, soit qu’il eût été arrêté, soit qu’il fût parvenu à s’échapper, ne parlât ou n’écrivît quelque lettre compromettante à un des grands journaux parisiens.

Aussi ne saurions-nous exprimer que d’une façon imparfaite l’horrible satisfaction qu’elle éprouva lorsque, le soir même du départ de Raoul, elle lut dans le Moniteur universel, le seul journal qu’on reçût à l’hôtel de Rifay :


« Hier, au milieu de la nuit, les Champs-Élysées ont été le théâtre d’un événement dramatique qui pourrait bien rester mystérieux. Appelés par des cris partant du Cours-la-Reine, quelques promeneurs attardés s’élancèrent de ce côté, et pendant que l’un d’eux portait secours à une femme renversée sur un banc, les autres se mirent à la poursuite de l’agresseur.

« Mais cet homme gagna la berge de la Seine et se précipita dans le fleuve avant même qu’on eût pu distinguer les traits de son visage. Deux mariniers se mirent immédiatement à sa recherche, mais comme un train de bois descendait au moment même, il est probable que cet individu n’est pas revenu à la surface de l’eau et que son cadavre ne sera découvert que fort loin en aval.