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et la faiblesse d’un homme épris venaient de faire le théâtre du plus lâche des crimes.

Jeanne comprimait les battements de son cœur rempli d’orgueil ; Robert ne sentait bondir le sien que d’amour.

Quelques instants plus tard, M. de Ferney fit appeler son fils et lui signifia, sans la moindre allusion au meurtre dont il le croyait coupable, qu’il partirait le soir même pour Douai, où il l’envoyait au lycée.

À la voix sévère de son père, le pauvre enfant resta d’abord stupéfait, puis bégaya :

— Pourquoi si loin de vous ?

— Parce que je le veux, répondit sèchement le magistrat ; la vie en commun assouplira votre caractère. Dieu veuille que vous me fassiez oublier !

— Ma mère ! ma pauvre mère ! balbutia Raoul en donnant enfin un libre cours à ses larmes.

Nulle exclamation ne pouvait aigrir davantage M. de Ferney. Dans son esprit, c’était là, de la part de son fils, une insulte nouvelle.

Aussi reprit-il avec dureté :

— La meilleure preuve que vous eussiez pu me donner du respect que vous avez conservé pour la mémoire de votre mère, c’eût été de me respecter moi-même et de respecter ceux que j’estime. Rentrez dans votre chambre ; vous n’en sortirez que pour vous rendre à la gare, sous la surveillance d’une personne sûre.

L’enfant comprit aussitôt qu’il devait son éloignement au peu de sympathie qu’il avait toujours témoignée à l’institutrice, et son orgueil natif se révolta d’être aussi cruellement sacrifié à une étrangère.

Il eut alors le courage d’arrêter ses larmes et, sans prononcer un seul mot, se dirigea vers l’escalier pour remonter chez lui.

À demi-étage, il rencontra ses sœurs qui descendaient. La plus jeune, Berthe, lui sauta au cou en disant :

— Tu pleures, frère, pourquoi ? Papa l’a donc grondé ?

— Non, je ne pleure pas, répondit Raoul d’une voix qu’il s’efforçait de rendre ferme ; embrasse-moi, et toi aussi, Louise ; je ne vous verrai plus.

Et sans donner le temps aux fillettes de lui demander l’explication de ses paroles, il les embrassa convulsivement, l’une après l’autre, puis gagna d’un bond le premier étage.

M. de Ferney, qui suivait son fils des yeux, s’était senti, au spectacle de ses enfants groupés, comme une morsure au cœur, et peut-être sa colère allait-elle faire place à la pitié, lorsqu’il entendit Raoul, qui s’était arrêté devant la porte de la galerie, s’écrier, avec un accent, d’une étrange énergie et un geste de menace du côté de l’appartement de Jeanne :