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vous reconduire jusqu’à votre porte. Je vous jure sur mon honneur de ne me souvenir ni du nom de votre rue ni du numéro de votre maison.

— Je sais ce que valent vos serments, monsieur de Serville, répondit Mlle Reboul d’une voix faible. Donnez-moi, vous, votre adresse. Si je pense que nous devons nous revoir, je vous écrirai.

— Je ne veux pas que vous partiez seule. Si vous alliez vous trouver mal en chemin.

— Oh ! je suis une fille du peuple, je sais souffrir. Où demeurez-vous ?

— Rue d’Assas, 124.

— Je ne l’oublierai pas. À bientôt peut-être !

Jeanne avait prononcé ces derniers mots en fermant sur elle la portière de sa voiture, après avoir ordonné au cocher de gagner le quai Voltaire.

La jeune femme était déjà loin que M. de Serville était encore immobile, appuyé contre un des arbres du Cours-la-Reine.

Armand de Serville n’était plus l’adolescent, l’enfant pour ainsi dire, que nous avons connu à la Marnière ; c’était un beau garçon dont le teint bronzé disait les longues excursions sous le soleil de l’Orient. Ses yeux avaient des regards tout à la fois doux et fermes, mais sa physionomie, pleine de franchise, exprimait en ce moment une profonde douleur.

— Est-ce que je ne rêve pas ? se disait-il. Ou plutôt, n’est-ce pas le ciel qui a voulu qu’il en fût ainsi ! Après cinq ans de séparation, je rencontre Jeanne, et c’est au moment où Justin la frappe d’un coup de couteau. Cet homme ne se vengeait-il pas ? Ce qu’il affirmait jadis pour se défendre était-il donc vrai ? Et j’ai failli oublier l’ordre que ma mère m’a donné de son lit de mort ! Oh ! non, non, cela ne peut être, ce serait une lâcheté !

Le malheureux ne se souvenait pas seulement de ses longs mois d’amour sous les grands ombrages de la Marnière, mais encore de tout ce qu’il avait souffert depuis cinq ans chaque fois que son cœur lui avait reproché d’avoir abandonné sa maîtresse.

Laissons M. de Serville à ses douloureuses pensées et retournons à Mlle Reboul, à qui les mouvements de la voiture causaient de violentes douleurs.

Sans s’être encore exactement rendu compte de la gravité du coup qu’elle avait reçu, Jeanne avait la certitude que l’arme de Justin, arrêtée par les baleines de son corset, n’avait pas pénétré profondément dans les chairs, mais cependant et bien qu’elle n’en eût pas sur ses vêtements extérieurs, elle s’en était assurée en passant devant les lumières du quai, elle se sentait la poitrine inondée de sang.

Il lui semblait de plus que ses forces s’affaiblissaient.

Il lui tardait donc d’être arrivée.

Le fiacre entra enfin dans la rue du Cloître pour s’arrêter au no 9.

S’armant de courage, l’institutrice mit pied à terre et, après avoir donné à son