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Justin ; cet étranger, qui la connaît aussi, puisqu’il l’a appelée par son nom. Mais, nom d’une pipe ! il n’y a que moi qui ne sais rien dans cette affaire-là ! Pauvre garçon tout de même !

En se parlant ainsi à lui-même, Manouret s’était dirigé de nouveau vers le quai. Il y arriva au moment où les deux sauveteurs revenaient de leur excursion. Ils n’avaient rien aperçu.

Jugeant alors inutile de prolonger davantage son séjour dans ce quartier, si éloigné du sien, il remonta philosophiquement les Champs-Élysées, pour retourner chez lui par les boulevards extérieurs.

Pendant ce temps-là, il s’était passé entre Mlle Reboul et son défenseur une scène qu’il nous faut raconter.

Nous avons dit qu’en entendant prononcer son nom par celui qui était venu à son appel, la jeune femme s’était sentie défaillir.

Elle avait reconnu M. de Serville. Armand de Serville qu’elle croyait si loin, c’était lui qui la secourait, qui lui demandait :

— Êtes-vous blessée ?

Elle parvint à lui répondre :

— Quoique je souffre beaucoup, ça n’est pas grave, je l’espère.

— Venez, qu’on vous fasse du moins un premier pansement ; vous ne pouvez partir seule ainsi.

— Il le faut ; car il serait préférable que j’eusse été tuée sur le coup !

— Cependant !

— Ah ! maintenant que nous nous sommes retrouvés, je regrette que ce misérable ne m’ait pas frappée mortellement.

— Ce misérable ! Delon ! Mais vous vous soutenez à peine.

M. de Serville avait senti Jeanne se suspendre à son bras pour ne pas tomber ; il n’eut que le temps de la prendre par la taille.

C’est qu’en apprenant qu’Armand avait reconnu Justin, ce dont elle ne s’était pas douté, Mlle Reboul se demandait avec terreur comment elle pourrait jamais expliquer cette rencontre à pareille heure, dans un semblable endroit et entourée des circonstances dramatiques dont M. de Serville avait été témoin.

Néanmoins elle eut la force de répondre, en refusant doucement l’aide de son protecteur :

— Non, je puis marcher. Allons !

Elle entraînait Armand du côté où elle avait laissé sa voiture.

— Un mot, un seul mot encore, lui dit le jeune homme au moment où Jeanne, reconnaissant son coupé, quittait son bras. Ce n’est pas le moment d’une explication entre nous, mais dites-moi où et quand je pourrai vous revoir ; ou plutôt laissez-moi