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en causant, ils s’étaient dirigés vers le Cours-la-Reine et se trouvaient dans un endroit désert, il avait de nouveau, élevé la voix avec un accent de colère.

— Vous êtes fou ! répondit Mlle Reboul en se dégageant, et vous me faites regretter d’être venue. Finissons-en, car l’heure me presse. Que me voulez-vous ?

— Ce que je veux, reprit Delon ; je veux vous dire que je vous aime toujours ; que par vous ou pour vous j’ai été déshonoré, j’ai souffert, et que, maintenant, il faut que vous me rendiez en bonheur tout ce dont je suis à jamais privé.

— Je ne vous comprends pas.

— Je veux d’abord savoir ce qu’est devenu notre enfant et je veux ensuite que nous ne nous quittions plus. Suis-moi ! Je travaillerai pour nous deux. Pense donc que je n’ai plus que toi au monde, que mon père m’a maudit en rendant le dernier soupir. Je t’en supplie, ne m’abandonne pas ! Nous partirons demain, cette nuit même !

— Décidément vous avez tout à fait perdu la raison ! Croyez-vous donc que je suis libre, que je puis, du soir au lendemain, abandonner la position que je me suis faite, si modeste qu’elle soit. Et pour quoi devenir, pour où aller, pour vivre comment ? Pensez-vous que je n’ai pas eu, moi aussi, des jours d’angoisse et de désespoir ? Si vous n’étiez pas venu chez Mme de Serville, je serais restée sa fille bien-aimée, honorée de tous, au lieu de devenir une institutrice, c’est-à-dire quelque chose d’un peu plus qu’une domestique à gages, et encore ! Voilà ce que me vaut votre amour ! Vous voyez que nous sommes quittes, ou à peu près !

— Et l’enfant que vous portiez dans votre sein lorsque je vous ai quittée ?

— Il est mort !

— Alors je n’ai vraiment plus que toi ! Jeanne, il faut me suivre ! Tout à l’heure, je suppliais ; maintenant, je le veux !

— Attendez quelques jours ; je ne saurais m’éloigner ainsi sans prévenir ceux chez qui je suis.

— Quels sont ces gens-là ?

— Ne le savez-vous pas ?

— Non, c’est le hasard seul qui m’a fait vous rencontrer. J’étais au bas de la rue de la Roquette lorsqu’il m’a semblé vous reconnaître dans une voiture de deuil ; j’ai suivi le convoi dont elle faisait partie, et c’est ainsi que je me suis assuré, quand vous avez mis pied à terre, à la porte du cimetière du Père-Lachaise, que je ne m’étais pas trompé.

— Vous voyez que, si je l’avais voulu, j’aurais pu ne pas venir.

— Oh ! je vous aurais retrouvée ! Rien ne m’eût été plus facile que de savoir le nom de la personne aux obsèques de laquelle vous assistiez, et de là à connaître votre demeure, il n’y aurait pas eu bien loin. Alors c’eût été devant ceux de qui vous