Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/129

Cette page a été validée par deux contributeurs.

L’odieuse créature haussait ironiquement les épaules en répétant ce mot, sans se souvenir que c’était à elle seule, à son infâme combinaison, que Justin Delon devait la peine infamante qui l’avait frappé.

Indécise à l’égard de la conduite qu’elle tiendrait avec son ancien amant, elle vit arriver trop vite, à son gré, l’heure du dîner, et quand elle descendit se mettre à table avec M. de Ferney et ses enfants, elle eut besoin de faire appel à toute sa force de volonté pour dissimuler sa préoccupation.

Le repas fut triste et silencieux ; les petites filles, Louise surtout, avaient pleuré en pensant à leur mère, et Raoul, qui savait sa prochaine entrée au collège, mangea rapidement ; puis, après avoir embrassé son père et salué l’institutrice d’un « bonsoir, mademoiselle ! » bien sec, il sortit.

— Pardonnez-lui, Jeanne ! supplia M. de Ferney du regard.

Mlle Reboul ne répondit qu’en prenant la petite Berthe sur ses genoux et en s’efforçant de la distraire, ainsi que sa sœur.

Touché de la résignation de celle qu’il aimait, le pauvre affolé ne quittait pas des yeux le groupe charmant que formaient la jeune femme et ses filles.

Ce tableau le ramenait à cette soirée où, pour la première fois, ce même spectacle l’avait attiré près de la charmeresse et déterminé l’explosion de l’amour qui couvait en son cœur, sans qu’il s’en doutât.

Du passé, son esprit allait à l’avenir, que la possession légale de Jeanne lui faisait entrevoir si complètement heureux, et il oubliait un peu les jours qu’il venait de traverser.

— Ah ! pardon, monsieur, lui dit tout à coup Mlle Reboul, du ton le plus naturel et sans cesser de jouer avec Berthe, j’allais encore oublier de vous demander un renseignement qui est tout, à fait de votre compétence.

Voilà deux ou trois fois que je rencontre dans les journaux cette phrase : « Sous la surveillance de la police. » Qu’est-ce que cela veut dire ? Je suis honteuse d’être aussi ignorante.

— Mais, ma chère demoiselle, répondit le magistrat en souriant, il est assez naturel que vous ignoriez ces choses-là. On dit qu’un individu est sous la surveillance de la police quand, après avoir subi sa peine, il lui est défendu, en raison d’un des dispositifs de l’arrêt qui l’a condamné, d’habiter certaines villes et de demeurer dans d’autres, sans avoir rempli les formalités qui permettent de toujours le trouver. C’est une véritable aggravation de châtiment, parfois cruelle, mais le plus souvent nécessaire.

— Comment, les malheureux qui ont payé leur dette à la justice ne peuvent aller où ils veulent, ne peuvent habiter où il leur convient ?

— Non, et cela se comprend. Un trop grand nombre d’entre eux viendraient à Paris, la ville où les malfaiteurs se cachent le plus facilement. Aussi leur interdit-on, à de rares exceptions près, Paris, Lyon, Bordeaux, les plus grandes villes enfin, où leur surveillance serait trop difficile.

— Paris leur est interdit ?