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Ce qui l’ennuyait un peu, c’est que nul de ceux auxquels il s’était adressé n’avait prononcé le nom de Jeanne Reboul. Cela s’expliquait naturellement puisque personne, dans le quartier, ne connaissait l’institutrice, qui ne sortait jamais et n’avait aucun rapport avec les fournisseurs.

Cependant il n’en prit pas moins gaiement le chemin de la rive droite, tout fier d’avoir fait parler le père Jean et en répétant avec la ténacité d’un homme ivre :

— Jeanne Reboul, M. de Ferney, hôtel de Rifay, faudra voir ! faudra voir !


VIII

Double but, double infamie !



Mlle Reboul venait à peine de rentrer à l’hôtel et M. de Ferney était encore au Palais de Justice, où il avait repris ses fonctions dès le lendemain de l’enterrement de sa femme, lorsqu’un domestique vint prévenir la jeune fille qu’un commissionnaire apportait une lettre qu’il ne voulait remettre qu’à elle-même.

Jeanne ordonna qu’on fit monter cet homme, et, après l’avoir renvoyé avec cinq francs de pourboire, elle se hâta d’ouvrir ce billet qu’elle attendait si impatiemment.

Françoise lui écrivait :


« Le nom de Justin Delon a fait devenir tout pâle l’individu en question et, à la nouvelle de quelqu’un était venu le demander, il a filé.

« Manouret m’a dit que c’était un condamné politique sous la surveillance de la police. Il voulait qu’il partît aujourd’hui même, mais Gustave ou plutôt Justin a refusé sous le prétexte qu’il a pour ce soir un rendez-vous important.

« Voilà, ma chère amie, tout ce que j’ai à t’apprendre de nouveau. En attendant que j’aie le plaisir de te revoir, je t’embrasse bien pour le petit et pour moi. »


— Je le connais son rendez-vous ! murmura la jeune femme en déchirant la lettre de sa sœur, dont la dernière ligne n’avait éveillé aucun sentiment maternel dans son cœur de pierre : il faut bien que j’y aille si je ne veux pas qu’il vienne ici ! Ah ! maudits soient ce retour et cet obstacle ! Comment faire ? Condamné politique !