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— Quelque affaire d’amour sans doute ?

— Ma foi non ! Je ne crois pas du moins, puisque c’est une belle fille qui m’avait remis la lettre pour Mlle Reboul.

Claude, qui avalait justement son verre de vin, car, tout en causant, il avait conduit le commissionnaire dans un débit voisin de l’hôtel de Rifay ; Claude, disons-nous, faillit s’étrangler de joie. Sans qu’il le lui eût demandé, le père Jean venait de lui nommer la personne à laquelle Françoise avait écrit. Il est vrai que ce nom ne le renseignait pas beaucoup, mais enfin, c’était un jalon.

— Alors, c’est une belle dame ? demanda-t-il en riant. Ah ! c’est que vous êtes un finaud, père Jean ; vous vous y connaissez.

— Eh ! eh ! dans notre métier, on en voit tant, répondit le commissionnaire, intérieurement flatté ; mais je n’en ai jamais rencontré une aussi jolie que cette demoiselle Jeanne.

— Jeanne ? Vous disiez Mlle Reboul ?

— Oui, Jeanne Reboul. Un air de reine, mon garçon ; et des yeux, des dents ! Mais je bavarde, il faut que je me sauve.

— Encore une tournée ?

— Non, un verre ça donne des jambes ; deux, ça les casse. Je n’ai que le temps ; on doit venir prendre la réponse à quatre heures.

— Ah ! il y a une réponse ?

— Oui et non ; la jolie dame m’a dit de répondre que c’était bien.

— Alors, à une autre fois, père Jean ; là-bas, rue de Clichy.

— Ça va, mon garçon, et c’est moi qui régalerai.

Et, sortant avec Manouret, le commissionnaire le quitta pour reprendre, de son pas automatique, la longue route qu’il avait déjà parcourue.

Pendant ce temps-là, le patron de l’hôtel de Reims s’éloignait lui-même en se disant :

Mlle Reboul, Mlle Reboul ? Où diable ma femme a-t-elle fait cette connaissance-là ? Que peut-elle lui avoir écrit ? Jeanne Reboul ? Mais, saperlotte, est-ce que ce ne serait pas tout simplement la sœur de Françoise, la mère d’Armand ? Car enfin, il faut bien qu’elle soit quelque part cette sœur qui donne comme ça des cinq mille francs. Que je suis bête ! Qu’est-ce que la fille de Méral le guillotiné ferait dans cette maison ! Enfin, faudra voir, car tout cela me paraît louche. D’abord, qui habite cet hôtel de Rifay ? C’est bien le diable si je ne trouve pas moyen de l’apprendre !

Manouret avait raison ; moins d’une heure plus tard, après avoir fait diverses stations dans les débits du voisinage, il savait que le locataire de l’hôtel de Rifay était M. de Ferney, magistrat dont la femme avait été enterrée la veille et qui restait veuf avec trois enfants.