Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/122

Cette page a été validée par deux contributeurs.

affaire, elle comprenait qu’ayant connu jadis Justin, elle ne devait pas être extrêmement flattée de le savoir à Paris.

— Le pauvre garçon ! dit-elle avec un calme parfait ; qu’est-ce qu’il va devenir ?

— Oh ! il faut qu’il file, car, lui, il est filé. À sa place, je partirais aujourd’hui même. Je le lui ai conseillé, mais il ne veut pas ; il a un rendez-vous important ce soir. Il y a une femme sous jeu ! J’ai vu ça, et une femme qui pourrait bien passer un vilain quart d’heure ! mais ça ne nous ne regarde pas. Donne-moi à déjeuner, je meurs de faim. Ça creuse l’estomac toutes ces émotions-là. Et le môme, comment va-t-il ? Allons, viens ici, monsieur Armand.

Le petit garçon qui ne souffrait plus mais n’aimait pas le cabaretier, dont il recevait souvent des taloches, répondit en grognant :

— Non, je ne veux pas !

— Charmant enfant ! fit Claude en faisant un mouvement pour s’emparer du gamin, qui se sauva dans les jupons de Françoise ; si mademoiselle sa mère lui ressemble au moral, ça doit être une jolie société. À propos de sa mère, femme, est-ce qu’elle va nous laisser comme ça son rejeton à perpétuité ? On n’en entend pas parler souvent ! Qu’est-ce qu’elle est devenue, ta sœur ?

— Qu’est-ce que ça te fait ?

— Dame ! son fils a bon appétit et ses dents grandissent. Et puis, il va falloir l’envoyer à l’école. Or, il y a longtemps que les cinq mille francs sont loin. Si elle renouvelait, comme au beuglant, ça ne ferait pas de mal !

— Je m’en charge.

— Tu l’as vue ?

— Non, mais j’ai reçu de ses nouvelles.

— Et tu ne me le disais pas !

— Tu es toujours fourré dans la politique ; il n’y a pas moyen de causer un instant avec toi.

— Le pays avant tout ! Moi, je suis pour la sociale et la liberté.

— C’est comme ça qu’on meurt de faim. De quoi vivrions-nous si nous n’avions pas le peu que rapporte le garni ? Avec ça que l’ouvrage manque pour ceux qui veulent travailler ! jamais l’ouvrier n’a eu l’occasion d’être si heureux.

— Fais bouillir la marmite, soigne Armand et ne t’occupe pas de politique : les femmes n’y comprennent rien !

Et comme, pendant cet entretien, Manouret avait dévoré le déjeuner que Françoise lui avait servi, il alluma sa pipe, et sortit en murmurant :

— C’est drôle tout de même que Françoise ait reçu des nouvelles de sa sœur sans m’en avoir parlé. Il doit y avoir là-dessous quelque chose qu’on me cache. Il faudra voir.