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Mais cette impasse était silencieuse. Après s’être assuré qu’elle était également déserte, Jérôme s’y engagea en frôlant les murailles.

Il atteignit ainsi la ruelle du Cygne et il venait d’en tourner l’angle, lorsque, d’une voiture qui stationnait contre le trottoir, il entendit une voix de femme qui demandait :

— C’est vous ? Enfin !

Puis la même femme jeta aussitôt, un cri d’épouvante, qui réveilla sur son siège son cocher endormi.

Dutan comprit aussitôt que celle qui s’était adressée à lui ne l’avait fait que par erreur, et qu’elle attendait l’homme qu’il venait d’assassiner. Alors, véritablement affolé, il se précipita vers l’extrémité de la rue, où il disparut dans l’ombre.

Cependant, revenue de son émotion, l’inconnue avait mis pied à terre.

C’était une femme d’une quarantaine d’années, fort belle. Elle était d’une pâleur livide et bien évidemment sous le coup d’une terrible angoisse, car elle se soutenait à peine.

— Qu’est-ce qu’il y a, bourgeoise ? lui demanda encore tout sommeillant le cocher qui ne se rendait pas compte de ce qui venait de se passer.

Il avait bien entendu un cri, puis des pas dans le lointain, mais il ne comprenait pas.

— Rien, répondit-elle sèchement, attendez là.

— Toute la nuit, si ça vous convient, ma petite dame, fit l’automédon de ce ton gouailleur que prennent si volontiers les hommes du peuple avec les gens du monde, lorsque ceux-ci les font involontairement leurs complices.

Or, le cocher était persuadé que sa jolie voyageuse guettait quelque galant.

Celle-ci prit hardiment la ruelle du Cygne et s’enfonça dans l’impasse, comme si elle la connaissait de longue date. Mais, parvenue à la porte du jardin, elle s’arrêta brusquement. On eût dit qu’elle n’osait franchir le seuil de l’hôtel de Rifay.

Son hésitation, toutefois ne fut que momentanée, et elle s’élançait pour disparaître sous les grands arbres, lorsqu’une plainte, en se faisant entendre du côté de la maison, la rendit de nouveau immobile.

Bientôt elle aperçut un individu qui se traînait plutôt qu’il ne marchait, en se dirigeant vers elle. Reconnaissant aussitôt celui qu’elle attendait, elle se jeta à sa rencontre.

— Eh bien ! lui demanda-t-elle, vous n’avez rien trouvé ?

Puis elle ajouta immédiatement, en voyant que celui auquel elle s’adressait se soutenait à peine :

— Qu’avez-vous ? Que vous est-il donc arrivé ?

— Au moment où je venais de m’emparer du coffre, j’ai reçu sur la tête un coup violent, répondit la victime de Dutan avec effort, et je suis tombé. Lorsque je suis revenu à moi, j’étais seul, et la caisse avait disparu.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! que vais-je devenir ? Mais alors celui qui vous a frappé, c’est un homme qui a passé tout à l’heure près de ma voiture en courant. En effet, il portait quelque chose sur l’épaule. L’avez-vous vu, vous ?

— Je n’ai vu personne. Mais donnez-moi votre bras, la tête me tourne, il me semble que je vais défaillir de nouveau.