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— Aller à Reims, tu n’y penses pas ! Et Manouret !

— C’est vrai. Alors, écris à cet homme de venir à Paris, et, comme il pourrait craindre de se déranger pour rien, envoie-lui moitié de ce billet. Tu garderas l’autre moitié pour toi, en attendant les cinq mille francs que je t’ai promis.

Et tirant de sa poche un coquet portefeuille, Jeanne y prit un billet de mille francs qu’elle tendit à sa sœur et que celle-ci s’empressa de faire disparaître dans son corsage, car la porte du cabaret venait de s’ouvrir brusquement pour livrer passage à trois individus, parmi lesquels elle avait reconnu Manouret.

— Tiens, le voilà mon homme, dit-elle à Jeanne. Heureusement qu’il arrive trop tard et que nous n’avons plus rien à nous dire. Ah ! ne pars pas au moins sans me donner ton adresse, afin que je puisse te faire connaître la réponse de Pergous dès que je l’aurai reçue.

Mais la jeune femme ne répondait pas. Elle avait soulevé un coin du rideau qui séparait la pièce où elle se trouvait de la salle commune, et ses regards inquiets restaient fixés sur le groupe que formaient l’amant de sa sœur et ses deux compagnons.

Les trois hommes causaient avec une certaine animation dans un des angles du cabaret. L’un d’eux faisait face à la muraille.

Tout à coup ce dernier se présenta de profil et Jeanne, étouffant un cri de surprise, dit à Françoise :

— Tu connais les amis de Manouret ?

— À peu près. Oh ! pas tous, il en a tant ! De plus, ce sont souvent des étrangers, des Italiens surtout.

— Celui-là, là-bas, le grand brun !

Elle lui désignait l’individu dont la vue lui avait causé une si vive émotion.

— Oh ! celui-là, répondit la fille Méral, Claude prétend que c’est un bon. On l’appelle tout simplement Gustave.

— Gustave ! Gustave comment ?

— Ah ! je n’en sais pas plus. Je crois que c’est quelque condamné politique. Qu’est-ce que cela te fait ? Tu es toute pâle.

— Écoute, Françoise, tu vois bien cet homme, il faut que tu saches ce qu’il est venu faire à Paris et où il demeure ; cela, le plus tôt possible. Demande-le à Manouret et fais-le moi savoir aujourd’hui même. Écris-moi un mot que tu m’enverras par un commissionnaire.

— Où cela ?

— À mon adresse : « Mademoiselle Jeanne Reboul, chez M. de Ferney, rue du Cloître, no 9. »

— Rue du Cloître, no 9. Bien !