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Un jour, vers midi, au moment où la maîtresse de l’hôtel de Reims guettait, sur le pas de sa porte, le retour de Claude, elle aperçut une jeune femme d’une tournure élégante, qui, après être descendue de voiture à l’angle de la rue du Rocher et du boulevard extérieur, venait de son côté, mais sur le trottoir opposé, en cherchant évidemment une adresse, car, à travers le voile épais qui cachait son visage, elle inspectait les maisons devant lesquelles elle passait.

Arrivée en face du garni, la promeneuse s’arrêta brusquement, puis traversa la chaussée.

Françoise la reconnut aussitôt.

C’était Rose, ou plutôt Jeanne.

— Toi ! fit-elle, lorsque sa sœur fut près d’elle.

— Moi-même, répondit Mlle Reboul, qui avait également, reconnu Françoise ; j’ai cru que je n’arriverais jamais. Comment, c’est là l’hôtel de Reims !

Le ton avec lequel elle avait prononcé ces paroles disait assez la répulsion que lui causait l’aspect de l’établissement.

— Dame ! répondit Françoise un peu piquée, tu ne l’attendais pas à trouver les Tuileries sur le boulevard des Batignolles ?

— C’est bien ici que tu demeures ?

— Oui, je te l’ai écrit moins d’un mois après mon arrivée à Paris ; seulement, toi, sauf les quelques lignes dans lesquelles tu m’annonçais ton départ de Douai, tu ne m’as plus donné de les nouvelles.

— Ah ! c’est que, depuis ce moment, il s’est produit bien des événements ! C’est de tout cela que je veux te parler, mais sans qu’on puisse nous entendre. Montons chez toi.

— Viens ! Seulement ne te frotte pas trop aux murs ; ils ne sont pas dorés.

En disant ces mots d’un ton ironique, Françoise passa la première.

Jeanne la suivit dans le long couloir de l’hôtel.

Arrivée à l’extrémité de ce corridor où on y voyait à peine, bien qu’on fût en plein jour, la Manouret, comme l’appelaient ses clients, ouvrit une porte qui se trouvait au pied de l’escalier et fit entrer sa sœur dans cette petite pièce dont la paroi vitrée donnait sur la salle commune du rez-de-chaussée.

De la demi-douzaine de tables qui garnissaient cette salle, une seule était occupée. Deux hommes s’y tenaient accoudés et, tout en buvant, causaient à voix basse.

— Nous sommes seules ? demanda Jeanne à Françoise.

— Tu le vois bien, répondit cette dernière, en offrant une chaise à sa sœur. Justement Manouret n’est pas rentré. Il est probable qu’il gobelotte avec quelques amis.

— Comment, Manouret ? Je croyais que tu étais partie de Reims sans lui dire où tu allais et que tu ne devais plus le revoir.

— Ah ! ma petite Rose, qu’est-ce que tu veux ? Nous autres, vois-tu, nous ne changeons pas d’amants comme les grandes dames. Au bout de quinze jours, je me suis ennuyée toute seule à Paris ; j’ai écrit à Claude. Il avait eu à Reims des tracas