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Un de ces refuges interlopes était décoré pompeusement du nom de l’Hôtel de Reims.

C’était, de tous ses congénères, un des plus mal famés.

Au rez-de-chaussée, une salle étroite et longue pour les consommateurs ; à l’arrière de cette salle, une autre petite pièce séparée de la première par une cloison vitrée en partie, ce qui permettait au directeur de l’établissement de surveiller l’arrivée et surtout le départ de ses clients.

Au premier et au second étage, où on parvenait après avoir parcouru un couloir obscur et gravi un escalier en forme d’échelle, une demi-douzaine de chambres garnies seulement des meubles les plus indispensables.

Le long des murs, du papier à six sous le rouleau, usé par les coudes, tâché par les têtes et zébré par les allumettes. Aux fenêtres, des rideaux de percale blanchis deux fois par an. Dans quelques-uns de ces réduits, sur une commode de bois peint, et, dans d’autres, tout simplement sur une chaise, un pot à eau ébréché et une cuvette affectant volontiers les contours d’un plat à barbe.

Ces chambres n’étaient séparées les unes des autres que par de minces cloisons, ouvertes çà et là, grâce au jeu du bois et aux déchirures du papier, par des solutions de continuité fort indiscrètes et ennemies de tout mystère.

Mais les locataires permanents ou passagers de l’hôtel de Reims s’en souciaient peu sans doute, car ils ne s’en plaignaient pas.

On y logeait à la nuit et pour un laps de temps moins long encore, pourvu qu’on payât d’avance.

Le directeur de cette honorable maison, Claude Manouret, était un de ces provinciaux bruyants, bavards, politiqueurs, comme il y en a tant, hélas ! à Paris, pour le malheur de Paris.

Solide et courageux, Manouret maintenait un certain ordre dans son établissement, où il réunissait volontiers ce qu’il appelait, par un euphémisme inconscient, les victimes du pouvoir, ce qui voulait dire en bon français, des gens frappés par la loi pour faits absolument étrangers à la politique, et il se passait peu de soirées sans qu’on démolît, à l’hôtel de Reims, le gouvernement qui ne s’en portait pas plus mal.

La femme ou plutôt la compagne de Manouret — car aucun officier municipal n’avait légalisé cette union extra-morganatique — était une belle fille d’une trentaine d’années, que nos lecteurs connaissent déjà : Françoise Méral, la propre sœur de Jeanne Reboul.

Son activité et son intelligence luttaient contre le laisser-aller de son amant, qui, logique au moins, ne mettait pas de limites au crédit qu’il accordait à ses amis politiques, et c’était grâce à elle que l’établissement équilibrait à peu près ses recettes et ses dépenses.

Debout dès l’aube, Françoise veillait comme un cerbère à la sortie de ses locataires d’une nuit, pour s’assurer qu’ils n’emportaient pas la literie ou quelque autre partie du mobilier de son garni ; puis, après avoir mis un peu d’ordre dans la maison, elle préparait le déjeuner du maître, parfois inutilement ou insuffisamment, car il arrivait aussi souvent à Manouret de ne pas rentrer que de revenir en nombreuse compagnie.