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non, dussé-je en mourir, je partirai. Tout, plutôt que l’outrage qui m’attend ; tout, plutôt que la honte !

— Eh bien ! Jeanne, reprit M. de Ferney affolé, moi, je ne vous laisserai pas partir et vous resterez ici, la tête levée ; car je vous le jure, vous serez ma femme !

— Votre femme !

— Oui, ma femme ! Ne savez-vous pas combien je vous aime ? N’êtes-vous pas venue dans cette maison désolée comme une nouvelle jeunesse qui m’était offerte ? Ne m’avez-vous pas sauvé du désespoir où me conduisait fatalement la vie à laquelle j’étais condamné, par respect même pour celle qui portait mon nom ! Dieu m’est témoin que votre entrée chez moi a été étrangère à toute spéculation blâmable, et que j’étais loin de m’attendre à ce qui se passerait moins d’un an plus tard. Je dirai plus : si j’avais pu le prévoir, vous n’auriez pas franchi le seuil de ma porte. J’avais fait courageusement le sacrifice de ce droit à l’amour qui appartient à toute créature humaine, et je m’en allais tristement, à moins de quarante ans, déjà vieillard. Vous m’êtes alors apparue telle que j’aurais dû vous voir dès le premier jour, et je vous ai bientôt follement adorée. Oh ! je n’ai rien oublié, Jeanne, rien, ni mon premier outrage, ni mes prières, ni mes menaces, ni votre résistance, ni votre admirable conduite. Ne me laissez pas croire que c’est seulement par abnégation que vous êtes devenue ma complice ; mais affirmez-moi, en acceptant mon nom, que vous avez partagé, que vous partagez encore mon amour ! Au nom de votre honneur même, aidez-moi à réparer ma faute en devenant ma femme ! Ce n’est plus mon cœur seul que je vous offre, ma bien-aimée, c’est mon nom !

Agenouillé devant Mlle Reboul qui, succombant à l’émotion, s’était affaissée dans un fauteuil, M. de Ferney abaissait jusqu’à ses lèvres les mains dont elle se voilait le visage, et il les couvrait de baisers.

Cependant elle gardait le silence.

— Mais, réponds-moi, lui répétait le désespéré ; réponds-moi, je t’en supplie !

Alors, après un instant d’hésitation, elle jeta convulsivement ses bras autour du cou de son amant, et lui dit avec un sourire amer :

— Vous êtes fou, Robert. Est-ce que je puis devenir votre femme !

— Pourquoi non ?

— Mais parce que je ne suis, moi, qu’une pauvre fille sans famille, recueillie, élevée par charité. Que diraient vos parents et vos amis ? Vous n’auriez jamais le courage d’affronter leurs reproches, et moi je n’aurais jamais celui de supporter leur mépris.

— Je ne crains les reproches de personne, lorsque je n’agis que selon ma conscience, et vous, Jeanne, vous serez respectée par tous ceux qui ont pour moi quelque estime et quelque affection. Ayez meilleure opinion de vous-même et plus de confiance en ma volonté. Dites oui !

— Non, Robert, je ne veux pas dire oui, aujourd’hui du moins, et Dieu sait s’il faut que je lutte contre moi-même, contre mon amour aussi bien que contre mon