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Arrivée au centre du pauvre et triste quartier, elle s’arrêta en face d’une usine dont il lui semblait reconnaître la cheminée monumentale. Elle se souvenait des étonnements naïfs que lui avait causés jadis cette construction hardie. Elle avait dû passer, étant enfant, par la rue où elle se trouvait. Si elle existait toujours, la maison où elle avait été élevée ne pouvait être loin.

Convaincue de ne pas se tromper et avisant, sur le pas d’une porte, une femme du peuple d’un certain âge et à la physionomie avenante, elle s’approcha et lui dit :

— Habitez-vous le quartier depuis longtemps, madame ?

— Mon Dieu ! depuis toujours, ma belle demoiselle, répondit l’ouvrière. J’y suis née et m’y suis mariée.

— Peut-être alors pourriez-vous me donner un renseignement ?

— Avec plaisir. Lequel ?

— Je cherche une jeune fille qui demeurait dans le voisinage, il y a une douzaine d’année : Françoise Méral.

— Françoise Méral, la fille du guillotiné ?

— Vous dites ?

— Eh bien ! oui : la fille de Jacques Méral, l’assassin des vieux Duval. Il a été condamné à mort et son fils Pierre, son complice, le bossu, aux travaux forcés.

Livide et sentant ses jambes se dérober sous elle, Jeanne était obligée de s’appuyer contre le mur.

— Ne le saviez-vous pas ? interrogea l’ouvrière en s’apercevant de son émotion.

— Non, fit la jeune fille de la tête.

— Et moi qui vous apprends ça brutalement ! Mais ce n’est pas une raison pour ne pas vous intéresser à Françoise. Au moment de l’exé… de la mort de son père, elle vivait avec un bon garçon qui ne l’a pas abandonnée pour ça. C’est un nommé Claude Manouret. Je crois bien qu’il travaille dans la grande fabrique de MM. Villeminot, dans l’autre faubourg. Du moins, il me semble que mon fils m’a raconté quelque chose comme ça. Car, vous le comprenez, le nom des Méral revient de temps en temps dans les causeries. Je suis vraiment désolée de vous avoir fait du chagrin.

— Vous dites : Claude Manouret, chez MM. Villeminot ? demanda Jeanne, en faisant un effort surhumain pour redevenir maîtresse d’elle-même.

— Parfaitement, répondit la brave femme. Voulez-vous que mon fils s’en informe ? Ça lui sera plus facile qu’à vous.

— Oui, bien volontiers. S’il retrouve Françoise Méral, il la priera de venir demander à l’Hôtel du Palais Mlle Reboul. C’est moi.