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— Vous me permettrez d’aller lui rendre les derniers devoirs ?

— Vous êtes absolument libre ; rien ne vous retient que votre volonté dans notre sainte maison, répondit la supérieure ; mais vous arriverez après la cérémonie.

Au fond, cela convenait mieux à Jeanne.

Ignorant ce qui s’était passé et dit à la Marnière après son départ, et par conséquent ne sachant de quel œil y serait vu son retour, elle préférait attendre les instructions qu’Armand ne pouvait manquer de lui envoyer bientôt.

Elle ne savait pas, d’ailleurs, si M. de Serville était arrivé à temps pour embrasser sa mère une dernière fois.

Cependant, une semaine entière s’étant écoulée sans nouvelles, elle commençait à éprouver une certaine inquiétude, lorsqu’un jour enfin, elle trouva à la poste restante la lettre qu’elle attendait avec tant d’impatience.

Elle en brisa fiévreusement le cachet, mais, aux premières lignes, elle se senti prise de vertige.

— Oh ! non, c’est impossible ! murmura-t-elle, en passant une main sur ses yeux comme pour en arracher le voile dont elle voulait qu’ils fussent couverts.

Et elle recommença sa lecture, pour étouffer bientôt un cri de rage.

Voici ce que lui écrivait M. de Serville :


« Jeanne, je viens d’éprouver les deux plus grandes douleurs qui pouvaient me frapper : j’ai perdu ma mère sans avoir eu la consolation de recevoir son dernier soupir, et j’ai trouvé dans le pli qui renfermait ses volontés suprêmes une horrible révélation qui nous sépare à jamais.

« Pressentant bien ce que je ferais de vous aussitôt que je serais libre, ma mère a voulu, du fond de sa tombe, s’y opposer. Je dois lui obéir, mon cœur dût-il se briser de désespoir !

« Depuis que cet épouvantable secret m’est connu, j’ai tenté dix fois de vous écrire, le courage m’a manqué. Aujourd’hui, il le faut, puisque je vais quitter la France et m’en aller bien loin devant moi. Si je restais, je ne respecterais peut-être pas la mémoire de ma mère et son ombre me maudirait.

« Adieu donc, Jeanne, vous que j’ai tant aimée ; adieu pour toujours !

« Armand. »


« Mon désespoir allait me faire oublier de vous dire que ma mère a assuré votre sort et celui de votre enfant, dont je veux prendre soin moi-même. Mon notaire vous verra à ce sujet. Je n’ai pas besoin d’ajouter que je me souviendrai du bonheur que vous m’avez donné, c’est-à-dire de la dette du cœur que j’ai contractée envers vous. »


On conçoit aisément dans quel état de stupeur la lecture de cette lettre avait plongé Mlle Reboul.

Depuis plus d’un an, tout entière à ses rêves ambitieux, elle luttait contre son indomptable nature pour tromper les honnêtes femmes au milieu desquelles elle vivait ; depuis plus d’un an, elle acceptait, avec une étrange force de volonté, le