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premier étage, à l’entrée de la galerie qu’il devait traverser pour gagner la chambre où il se rendait.

De cette galerie, il pouvait voir les gardiens des démolitions frileusement groupés autour d’un feu dont les brusques lueurs dessinaient des ombres bizarres au milieu des décombres.

Dans la vieille demeure éventrée, tout était calme. On n’y entendait que les sifflements du vent, s’y promenant en maître, et les gémissements des grands arbres, qui, s’inclinant jusqu’aux murailles, semblaient vouloir les caresser une dernière fois avant leur chute.

Dutan se courba jusqu’à terre, afin que, de la rue, on ne le vît pas passer, et il parvint ainsi sur le seuil de la pièce, but de son excursion.

Mais, arrivé là, il étouffa un cri d’étonnement et de rage.

Penché sur le parquet, un homme venait d’attirer à lui de la cavité où il l’avait découverte, cette caisse, objet de ses convoitises.

Absorbé dans son travail, l’inconnu n’avait pas entendu venir Jérôme, dont les pas avaient, d’ailleurs, été étouffés par les bruits du dehors.

Cet individu était-il un compagnon qui avait surpris son secret ?

Il le crut un instant ; mais en reconnaissant qu’il n’en était rien, car cet individu était vêtu comme un bourgeois, et, à la pensée que c’était son trésor, la dot de sa fille, qu’on allait lui voler, pris de vertige, il franchit d’un bond la distance qui le séparait de l’étranger, et, avant que celui-ci ait pu seulement voir d’où venait le coup qui le frappait, il s’étendait à terre, en poussant un gémissement.

De sa pince, arme terrible entre ses mains, l’ouvrier l’avait assommé.

Épouvanté du lâche attentat qu’il venait de commettre, voyant à ses pieds ce corps inanimé, le mari de Lucie resta un instant immobile et sa première pensée fut de fuir ; mais, s’apercevant, à un mouvement de sa victime, que celle-ci vivait encore, il reprit aussitôt l’énergie du crime, et ne voulant pas du moins s’être rendu assassin sans profit, il saisit la caisse, et, sans souci du malheureux qui râlait, se hâta de reprendre le chemin qu’il avait déjà parcouru.

Il fut bientôt dans le jardin. Le coffre mystérieux ne pesait rien sur ses robustes épaules, et il allait atteindre la brèche par laquelle il avait pénétré dans l’hôtel, lorsqu’au moment de passer devant la porte qui donnait sur l’impasse du Cygne, il reconnut avec terreur que cette porte était grande ouverte.

Se rappelant fort bien qu’il ne l’avait pas vue dans cet état quelques minutes auparavant, il fit un saut en arrière et se blottit le long du mur.

Était-ce par là que s’était introduit l’inconnu ?

Cette porte, qu’il n’avait pas fermée derrière lui, avait-elle été poussée par le vent ?

L’homme qu’il venait de surprendre et de frapper, mortellement peut-être, n’était-il pas attendu par quelqu’un dans l’impasse ?

Toutes ces pensées, qui se pressaient dans l’esprit du meurtrier, lui causaient une indicible épouvante. Accroupi dans l’ombre, son étrange fardeau sur l’épaule, il s’efforçait de percer les ténèbres et il écoutait, décidé à tout, même à un second crime, plutôt que d’abandonner son butin.