Page:René de Pont-Jest - Le Serment d’Éva.djvu/74

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

croyant avilie, d’être devenue subitement, elle, la « petite madone », la chose, le bien, l’esclave charnel d’un maître, se disant inconsciemment que se donner volontairement, avec la sanction de l’Église, à celui qu’on aime devait être une adorable ivresse, et que c’est là, selon la nature et selon Dieu même, la seule chute permise aux vierges.

C’est dans cet état d’esprit que Mme  Noblet arriva à Paris ; et quand elle vit sa mère en danger, son désespoir fut immense. Elle s’installa à son chevet nuit et jour, ne la quitta plus un seul instant, se faisant même apporter son enfant pour lui donner le sein, luttant enfin avec une infatigable énergie contre le mal qui allait lui enlever celle dont ses propres souffrances lui faisaient mieux comprendre que jamais le supplice conjugal et les douleurs maternelles.

Le combat ne dura que quelques jours. Un matin, Dieu permit à Mme  de Tiessant de reconnaître sa fille. Elle l’appela du regard, bégaya son nom avec un inexprimable accent d’angoisse, tandis qu’elle avait prononcé, dans une sorte de sourire, ceux de Robert et de Blanche, ces deux chers morts qui n’avaient plus rien à redouter de la méchanceté des hommes ; et elle s’endormit pour toujours.

Éva ne jeta point un cri ; elle ferma pieusement par un baiser les yeux éteints de sa mère, et, se tournant ensuite vers son père, qui était là, debout, muet, envahi peut-être par un remords tardif, elle lui dit, d’une voix ferme que les sanglots entrecoupaient à peine :