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je suis assailli par je ne sais quel pressentiment douloureux.

— Comment cela ?

— Certes je suis un vrai croyant et j’ai grande confiance dans les consolations de la religion ; néanmoins j’ai peur que cette bénédiction qu’Éva sollicite si ardemment n’aggrave encore son état, tout en lui apportant le repos de l’esprit et le calme de la conscience dont elle est avide.

— Je ne vous comprends pas.

— Ah ! Monseigneur, c’est que vous ne pouvez connaître la malheureuse femme comme je la connais. C’est une nature passionnée, malade, qui voit toujours au delà des choses ! Elle répète qu’elle est condamnée, mais elle aime qu’on lui affirme, ce qui est vrai d’ailleurs, que tout espoir n’est pas perdu. Elle ne parle que du ciel et se rattache désespérément à la terre de toutes les forces de sa jeunesse, de toutes les amours qui remplissent son cœur. Elle combat enfin et ne veut pas mourir ; tandis que, quand l’absolution du Saint-Père aura donné l’essor à son mysticisme, elle désertera la lutte et laissera le mal faire son œuvre, pleine de quiétude en l’avenir, les yeux fixés sur de célestes horizons, semblable à ces Hindous fanatiques qui, se détachant de toutes choses humaines, insensibles même au milieu des plus horribles supplices, n’aspirent plus qu’à l’anéantissement dans le grand tout, au repos éternel, à la Nirvâna, sans souci, dans leur égoïsme de mourants heureux, de la douleur de ceux qu’ils abandonnent.