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« — Une semaine ! c’est long !

« — Tenez, poursuivit mon compatriote en me conduisant à une fenêtre, voici un pauvre diable qui vous enseignera la patience. Depuis deux longs mois il attend le vaisseau qui doit le rapatrier, et je vous jure que deux mois durent pas mal, quand on les passe sans manger… ou à peu près, car, à l’exception de quelques poignées de riz que le consulat lui donne par pitié, je ne sais pas de quoi vit ce malheureux.

« En parlant ainsi, il me montrait du doigt un Hindou couché sur le sable, immobile et fixant la mer.

« — Comment ! dans tout le pays, il n’a pu trouver à travailler seulement pour sa nourriture ?

« — Ma foi ! non. Il est vrai, j’oubliais de vous faire part de ce petit détail, qu’on le soupçonne d’avoir assassiné son camarade.

« — Diable !

« — Oui. Nous avions ici un autre Hindou ; c’était un gars solide, adroit et travailleur comme un bœuf, mais taciturne et triste au possible. Ne le trouvant jamais à rire ou à chanter, le consulat, qu’il approvisionnait d’eau chaque matin, l’avait surnommé le « remords ambulant. » Un beau matin, celui que vous voyez couché, arriva dans le pays, je ne sais comment. Les deux Hindous se rencontrèrent ; ils se connaissaient, sans doute, car on vit le nouvel arrivant causer avec notre homme qui, en deux ans, n’avait peut-être pas autant parlé que dans cette conférence qui dura cinq minutes ; puis ils se séparèrent.

« Le lendemain, on trouva notre porteur d’eau noyé dans une citerne.

« — Sa tristesse ou ses remords l’avaient probablement poussé au suicide ?

« — Soit ! mais ce suicide offrait une particularité. Un homme bien décidé à se noyer peut prendre certaines précautions comme celles de se lier bras et jambes ou de s’attacher une pierre au cou ; mais il ne lui vient jamais à l’idée de se couper les oreilles.

« — Le cadavre n’avait plus d’oreilles !

« — Elles étaient enlevées. L’Hindou fut arrêté : on flaira une de ces terribles vengeances indiennes qui vont chercher leur proie au bout du monde, mais les preuves manquaient, et puis, dans ce pays, le meurtre d’un naturel n’étant pas chose si rare qu’il faille y attacher une grande importance, on relâcha bientôt le prisonnier. Mais l’aventure l’empêcha de trouver du travail et lui fit refuser le passage sur les navires qui pouvaient le mener au Bengale.

« — Savez-vous que cela ne m’encourage pas dans mon projet de prendre un naturel pour domestique pendant mon séjour.

« — Allons donc ! ces gens-là se tuent entre eux, mais il ont le saint