Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/85

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Hyder-Ali. — Le karavat est un instrument avec lequel un homme peut se trancher la tête. C’est une demi-lune au-dessus de laquelle un large tranchant, très-aigu et très-pesant, est retenu par des chaînes qui sont attachées par un simple crochet à une petite plate-forme. Lorsque celui qui s’est voué à la mort a passé sa tête dans la demi-lune, il n’a qu’à donner une légère secousse à la plate-forme avec ses pieds et le couperet fait son office.

Le président. — Et la malheureuse femme ?

Hyder-Ali. — Pour honorer la mémoire de notre compagnon, nous avons décidé que son corps serait brûlé. C’est elle-même qui a voulu se sacrifier afin de sauver son mari de la colère de Yama, le juge des morts. Je ne lui ai fait aucune violence ; tout la bande au contraire n’a cessé de lui prodiguer des marques de respect.

Le président. — Où ce sacrifice a-t-il eu lieu ?

Hyder-Ali. — À Narsepour, auprès de Mysore.

Le président. — Donnez-nous quelques détails sur cet événement.

Hyder-Ali. — La femme assistait elle-même, une branche de mango dans la main droite, à l’exécution de son mari. Lorsque le corps est tombé, elle s’est assise à côté avec la tête sur les genoux, pendant qu’on lui teignait en rouge le tour des pieds. Elle prit ensuite un bain et revêtit des vêtements neufs.

« Pendant ce temps, les gongs résonnaient et le fils de Scanda prenait toutes les dispositions nécessaires. J’avais fait creuser en terre un grand trou, recouvert de quelques branches vertes, formant un plancher assez solide. Sous ces branches était élevé le bûcher, composé de fagots secs, de chanvre, de poix et de résine. Le gooroo, qui officiait, fit répéter à la veuve Scanda les formules d’usage, par lesquelles elle demandait à Dieu de la recevoir dans le ciel avec son mari et de l’y conserver autant de temps que durent les quatorze Indras.

Le président. — Qu’est-ce que cela veut dire ?

Hyder-Ali. — Indra, le roi du ciel, doit avoir treize successeurs. Chacun de ces rois règnera cent ans divins ; après quoi ce sera la fin du monde.

Le président. — Continuez.

Hyder-Ali. — Après cette prière, elle s’est dépouillée de ses vêtements pour les distribuer à ses amies, elle a attaché des tresses de coton rouge autour de ses bras comme des bracelets ; elle a relevé ses cheveux avec un peigne neuf et tracé sur son front, avec le sang même de son mari, les traits ordonnés.

« Pendant ce temps-là, les prêtres répandaient sur le cadavre du beurre fondu ; on le couvrait d’étoffes nouvelles et on chantait des prières. Cela